Suite et fin du procès contre Jean et ses fils. Leur avocate a demandé l’acquittement, mais le procureur n’est pas de cet avis. Pour lui, les prévenus ont abusé de la confiance de deux loges maçonniques.
«Nous sommes choqués», ont affirmé les deux frères après avoir entendu le réquisitoire du procureur qui a demandé jeudi, des peines de 36 mois de prison avec sursis intégral et une amende à l’encontre de Jean ainsi qu’une peine de 18 mois de prison avec sursis et une amende à l’encontre de ses deux fils. Un réquisitoire qui, selon eux, suivait un peu trop la ligne empruntée par les parties civiles. Depuis deux semaines, les prévenus dénoncent un complot maçonnique dont ils seraient les victimes impuissantes. Les traîtres, les faux-frères, jetés en pâture aux lions du cirque dirigés par les loges. Les prévenus sont suspendus à la décision que les juges rendront le 15 juillet prochain.
«La Vérité, c’est l’interprétation que chacun se fait de chaque chose», écrit l’auteur Vivien Bourrié. Dans cette affaire chacun a la sienne et s’y accroche coûte que coûte, la présentant à son avantage. Partie civile et prévenus ont beaucoup à perdre : 12 millions, selon certaines estimations, et une réputation. Jean, ancien franc-maçon comme son père et son grand-père avant lui, et ses deux fils, Luc et Tom, sont soupçonnés d’avoir détourné des actions d’une société et d’une fondation appartenant à la grande loge et au Suprême Conseil du rite écossais ancien et accepté pour le Grand-Duché de Luxembourg. Titres aux porteurs dont les deux parties revendiquent la propriété.
Le procureur a estimé qu’elle était claire : elle revient aux deux loges. «Les prévenus ont liquidé la fondation. Les loges étaient bénéficiaires des titres. Leur origine ne joue aucun rôle», a-t-il estimé. Pour lui, il y a bien eu abus de confiance de la part de Jean et de ses fils, et ce, malgré les efforts de leur avocat, Me Hoffeld, et de Tom pour prouver le contraire. Le procureur a dit se référer aux écrits et plus qu’aux témoignages oraux. Des écrits rassemblés dans d’épais classeurs qu’il tire derrière lui dans un chariot.
L’un de ses écrits, un avenant aux statuts de la fondation, que les frères pensent être un faux, signé et rédigé par Jean, fait des loges les bénéficiaires des 691 ou 690 actions «non réclamées» de la Sacec en cas de dissolution de la fondation. Jean les aurait empochées alors qu’il «n’est nulle part certifié que ce sont celles de Jean» et que l’«origine de la fortune de la Sacec serait un terrain à Hollerich donné par un frère maçon». Quant aux 240 actions dont les loges revendiquent également la propriété, elles auraient été retrouvées dans des boîtes portant les acronymes des deux loges dans le coffre-fort de la société à la BIL et auraient figuré sur les fiches de présence d’assemblées générales. Le procureur a donc requis leur confiscation et leur restitution aux loges.
L’appât du gain comme motivation
Tout ce que les prévenus pensaient pouvoir éviter. Leur avocate avait pourtant plaidé l’acquittement et rejeté les préventions d’abus de confiance et de recel. Tout le dossier devait être la preuve de l’innocence des trois prévenus et montrer que les titres appartenaient bien à leur famille qui aurait travaillé dur pour faire fructifier la Sacec et la fondation. Elle estime que les 240 actions ne peuvent appartenir aux loges étant donné l’absence d’acte notarié entérinant une quelconque donation et encore moins de témoignage d’une donation manuelle. En ce qui concerne les 691 ou 690 actions de la fondation, les loges ne pourraient pas les revendiquer ainsi, sous prétexte qu’elles auraient appartenu à des frères sans que cela constitue un délit.
L’avocate échafaude une théorie qui pourrait expliquer la vendetta dont les prévenus se sentent victimes : l’ancien grand maître et président du Conseil d’état, Victor Gillen, aurait essayé de financer la Solit, société qui appartient aux loges et gère leurs biens mobiliers et immobiliers, à travers la Sacec. Il aurait profité de sa position dans leurs conseils d’administration. Jean, qui aurait voulu sauver un patrimoine accumulé au prix de nombreuses heures de travail et destiné aux bonnes œuvres, aurait exercé ses droits d’actionnaires majoritaire de la Sacec pour l’éjecter du conseil d’administration et y faire entrer ses fils. Les loges ne se seraient mêlées de l’histoire qu’à partir du moment où la loi sur les titres au porteur a changé. Pour le procureur, la gourmandise et l’appât du gain seraient à chercher du côté des prévenus qui ne se seraient même pas repentis à la barre.
Les couloirs du temps sont bien sombres. La vérité semble ailleurs, chez Jean qui n’a pas été entendu compte tenu de son état de santé, et dans la tombe de frères maçons et anciens grands maîtres aujourd’hui décédés qui auraient suivi Jean au Liechtenstein pour fonder la fondation.
Sophie Kieffer