Un vendeur de tapis se serait immiscé dans l’intimité d’une de ses clientes âgées pour la dépouiller de ses biens. Suspecté d’abus de faiblesse et d’abus de confiance, le manipulateur présumé a été jugé par défaut lundi.
«J’aime bien les jolies choses. J’ai vu un joli petit Ghoum en soie verte.» Ce jour-là, Marie-Antoinette aurait mieux fait de se contenter d’admirer ce tapis derrière la vitrine du magasin et de ne surtout pas y mettre les pieds. Insouciante, le piège se referme tout doucement sur elle. Dans le magasin de tapis d’un centre commercial proche de la capitale, elle repère trois beaux tapis en soie. Le patron du magasin les lui propose pour 27 000 euros. Le double de leur valeur réelle, selon un expert mandaté par la partie civile. Marie-Antoinette n’en a pas besoin, mais elle ouvre une brèche en demandant s’il pouvait les déposer dans son magasin du quartier de la Gare de Luxembourg, à deux pas de chez elle. Le patron s’exécute.
Une semaine plus tard, Marie-Antoinette pense toujours au beau petit tapis vert. Elle se rend au magasin et achète les tapis. La moitié en espèces. Pour fêter la transaction, le commerçant débouche une bouteille de champagne et sert des petits fours de chez Namur. Il lui avoue avoir besoin d’argent et lui propose un grand tapis en cachemire au prix de 50 000 euros, lui aussi plus cher que sa valeur réelle. «Il a insisté et insisté pour que je lui donne l’argent», se souvient la dame de 71 ans à l’époque des faits.
Flairant la bonne affaire, le commerçant se serait immiscé dans sa vie. Il l’aurait invitée plusieurs fois au restaurant, l’aurait appelée «Mutti», embrassée sur le front et lui aurait signifié son intention d’obtenir procuration sur ses comptes. Il sait que la dame est seule et bénéficie d’un douillet patrimoine composé entre autres de quatre appartements remplis d’objets de valeur qu’elle accumule depuis des années.
Marie-Antoinette souffre de syllogomanie, un trouble qui la pousse à acheter des objets dont elle n’a pas besoin et à les entasser à tel point qu’il serait difficile de se mouvoir dans son appartement. Elle a apporté certains de ces objets bien emballés dans des sachets à la barre et présente ses petits trésors aux magistrats. Le commerçant lui aurait dit qu’elle «ne pouvait vivre de cette manière» et aurait proposé de vider les appartements avant de lui offrir «de les racheter à fonds perdus pour les restaurer». Marie-Antoinette commence à douter des intentions du commerçant et informe une cousine qui l’encourage à contacter la police.
On est en novembre 2017. La police perquisitionne les locaux du commerçant. Plus de 300 caisses contenant des objets sont restituées à Marie-Antoinette, mais une collection de pièces en argent ainsi que de nombreux objets de valeur ont disparu. «C’était un gangster de première classe. Il voulait avoir des choses pour rien. Il me proposait une bouchée de pain par mois pour les trois appartements», estime la victime qui s’est retrouvée sous emprise en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Un mois. «Je m’en voudrai jusque sur mon lit de mort de m’être fait avoir ainsi, moi qui suis si méfiante.»
«Il a mis en place toute une machination»
L’homme l’aurait embobinée en alliant pression, ruse et attentions envers la vieille dame peu habituée à en recevoir, selon l’expertise établie par un expert psychiatre qui estime que Marie-Antoinette était en situation de faiblesse au moment des faits. Elle aurait été particulièrement vulnérable en raison de sa personnalité solitaire, de sa santé physique ainsi que de sa situation d’isolement et de ses rares contacts avec sa famille. «Ma cliente est gênée de l’état de son appartement, c’est pour cette raison qu’elle n’y invitait personne», explique son avocate. On ne vide pas un tel appartement par charité.»
Pour le représentant du parquet, le prévenu avait parfaitement conscience de la vulnérabilité de la victime, étant donné ses propos face au juge d’instruction. «Il a mis en place toute une machination», estime le parquetier pour qui il y aurait bien eu abus de faiblesse. Il s’est rapporté à la sagesse du tribunal quant aux préventions de vol et d’abus de confiance. «Il avait pour mobile de s’enrichir au détriment de sa victime», précise-t-il avant de requérir une peine de 18 mois de prison assortie d’une amende. La partie civile a demandé un préjudice moral et matériel de plusieurs centaines de milliers d’euros.
Le prévenu ne s’est pas présenté à l’audience. Il a été jugé par défaut. Son avocat a indiqué ne plus avoir de nouvelles de lui depuis sa comparution devant le juge d’instruction, avant de se lever et de quitter la salle sans même plaider en sa faveur pour le défendre. Le prononcé a été fixé au 5 octobre prochain.
Sophie Kieffer