Ana aurait su, mais se serait tue. Jusqu’à ce que Joana dénonce les horreurs que son père, José, lui aurait fait vivre durant son enfance et son adolescence.
Après des années de silence, Joana a porté plainte le 31 août 2019 contre José pour des faits de viols et d’attouchements à caractère sexuel. De ses 5 ans à sa majorité, la jeune femme dit avoir été victime de son père avec le consentement tacite de sa mère, Ana. La décision aurait été prise au lendemain d’une dispute entre le père et la fille. José menaçait de demander la garde exclusive de sa petite-fille. Diogo, le père de la fillette, et son frère auraient montré leurs sexes à l’enfant. Une affirmation à laquelle il tient dur comme fer. José assure être victime d’un complot ourdi contre lui par la famille de Diogo pour le court-circuiter. Il nie formellement les accusations de Joana, qu’il estime avoir été instrumentalisée par sa belle-famille.
Un commissaire en chef du service de protection de la jeunesse avait résumé les faits lundi de manière très rigoureuse. Mardi, il a repris son récit là où il l’avait interrompu la veille. Par le portrait du prévenu. José aurait été décrit par ses proches comme quelqu’un de dominant et d’autoritaire. Sa belle-sœur aurait dit de lui qu’il était «de la vieille école, dans le sens que c’est l’homme qui commande» et qu’«Ana avait peur de lui quand il parlait fort». Une peur qui l’aurait paralysée pendant des années et empêchée de prendre la défense de sa fille. Ce qui l’amène face à la barre de la 9e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg pour non-assistance à personnes en danger.
Une fois les agissements supposés du père de famille dévoilés, José et Ana se sont séparés. Ana a demandé le divorce. Mais José n’aurait pas lâché prise. Il aurait envoyé un nombre invraisemblable de SMS aux sens contradictoires à Ana lui demandant de revenir vivre avec lui, la menaçant ou la rabaissant. Ana se serait contentée de lui répondre de manière lapidaire qu’il devait la laisser en paix avant d’aller porter plainte contre lui pour menaces – contre elle et Joana – et harcèlement. José se serait aussi fendu de messages diffamatoires sur Joana qui aurait, selon son appréciation personnelle, détruit la famille. À sa fille, il aurait écrit qu’elle allait «regretter amèrement ce qu’[elle] a fait».
«Ce grand secret»
À l’expert psychiatre chargé de dresser son portrait psychologique, José a rapporté avoir regardé la télévision avec sa fille dans la chambre parentale quand Ana dit les avoir «surpris». Une vision des choses qu’il avait déjà partagée avec les enquêteurs de la police. Face à l’expert, qui n’a pas décelé de tendance pédophile chez le prévenu, mais tout au plus un comportement pervers, José a continué de nier énergiquement les faits qui lui sont reprochés.
Ana aurait, quant à elle, reconnu que son silence avait été une grande erreur. Sa fille et elle auraient perdu beaucoup de temps par sa faute. Mais, à l’époque, aurait-elle concédé au psychiatre, elle ne se sentait pas prête à vivre seule. Après avoir pris son époux sur le fait, leur vie de couple n’aurait plus été la même. Le fait qu’elle ait été violée enfant par un camarade de classe n’aurait pas joué dans sa décision de ne pas dénoncer son époux, informe le praticien.
Elle aurait cependant, par son absence de réaction, encouragé Joana à se taire. La jeune femme présenterait les symptômes d’une personne ayant subi des abus sexuels, selon une psycho-clinicienne chargée d’analyser la véracité et la cohérence des dires de la victime présumée. Cette dernière lui aurait rapporté avoir longtemps cru que les agissements de son père étaient la norme. «Elle minimisait beaucoup les choses, a estimé l’experte. Elle était conditionnée. Les auteurs d’abus y vont petit à petit pour s’assurer que les enfants ne parlent pas. (…) Ils gardent ce grand secret en eux pour ne pas faire exploser la famille ou par peur de ne pas être crus.»
Le besoin de protéger sa fille aurait finalement déclenché le passage à l’acte de Joana envers son père. En ce qui concerne l’absence de réaction d’Ana et ses années de mutisme, l’experte avance ceci : «Vous avez passé une partie de votre vie avec quelqu’un que vous aimez, vous ne pouvez pas croire ce que vous avez vu ou ce qu’on vous a raconté. Vous allez vous arrêter à ce que cet autre va vous expliquer.»
Le procès se poursuit demain avec les auditions de nombreux témoins pour la plupart issus de la famille de la victime présumée et de son agresseur présumé.
Sophie Kieffer