Alors qu’au Luxembourg le centre pénitentiaire de Schrassig connaît des tensions, en France, pays sujet à la surpopulation carcérale, des détenus remis en liberté dans le contexte de la crise sanitaire racontent leur soulagement d’être dehors.
Face à l’épidémie, le gouvernement a été appelé, très tôt, à désengorger les prisons, afin de limiter la propagation du coronavirus dans les établissements pénitentiaires. Dimanche, la ministre de la Justice Nicole Belloubet a annoncé que 3 500 prisonniers avaient été « libérés » depuis le 18 mars. Un chiffre très insuffisant au vu de la surpopulation chronique des prisons, selon des associations, avocats et magistrats qui ont déposé un recours auprès du Conseil d’État.
« C’est une renaissance », résume Anthony*, 25 ans, sorti jeudi dernier de la maison d’arrêt de Nanterre. À l’intérieur, « il y avait une sale ambiance », « les gens sont en train de péter les plombs ». À deux, trois ou quatre détenus par cellule, avec des promenades réduites, des parloirs et activités annulés pour raison sanitaire, « c’était du 23 heures sur 24 en cellule à « tolérer » ses codétenus. C’était sous tension, comme une prise », raconte-t-il.
Des surveillants « sans masque ni gants »
Il décrit des surveillants « sans masque ni gants », des détenus conduits à l’infirmerie sans protection efficace, des informations contradictoires : « Ça donnait l’impression qu’ils improvisaient au jour le jour ». Alors, depuis jeudi, « c’est une bouffée d’air frais ». « Je n’ai pas le droit de bouger de chez moi », mais « je me considère comme un privilégié, parce qu’il y a encore plein de gens » en prison, dit-il. Anthony avait été condamné pour des infractions routières et « il lui restait moins de deux mois à faire », souligne son avocat, Yassine Yakouti.
Dans le contexte actuel, sa demande de libération conditionnelle a été examinée très rapidement et « hors débat », c’est-à-dire sans audience. Les mesures prises par le gouvernement concernent les détenus en fin de peine. Mais certains magistrats ont décidé de faire sortir aussi des personnes en détention provisoire, qui sont emprisonnées dans l’attente de leur procès.
«On attendait le premier cas»
Ainsi Marc*, soupçonné de vol avec violence, a quitté jeudi, après un an, la prison de Bois d’Arcy (Yvelines). Dans son ordonnance de mise en liberté, la juge mentionne l’épidémie, détaillant la « surpopulation » de cette prison, « source de risques sanitaires » et de « troubles sécuritaires induits », précise son avocat, Alexandre Simonin. « C’est de la folie à l’intérieur », estime Marc.
« On attendait le premier cas, on savait que ça allait arriver. » Et « on sait que si on a quelque chose en prison, on ne sera pas soigné comme les autres à l’extérieur », ajoute-t-il. Par exemple, dans les cellules de cette prison obsolète, « il n’y a pas d’interphone d’urgence. Donc s’il nous arrive quelque chose en pleine nuit, on n’a pas de quoi appeler le surveillant ». « On se dit qu’on est un peu dans l’abattoir ». Une fois sorti, « j’ai dit « ouf' », relate l’ex-détenu de 33 ans. « Je ne pensais pas sortir (…), je ne pensais pas sortir de là-dedans intact ».
Confiné chez lui, avec sa femme et ses trois enfants, il est sous contrôle judiciaire et devra aller pointer deux fois par mois au commissariat, mais seulement à la fin de l’épidémie. « Je préfère être en prison à l’extérieur avec ma famille, être auprès d’eux, qu’à l’intérieur et ne rien pouvoir faire s’il se passe quoi que ce soit ».
Chez lui, dans une «grande cellule avec (sa) famille»
À la prison de Villepinte (Seine-Saint-Denis), c’était « un peu catastrophique », affirme aussi Daniel*, qui en est sorti fin mars. « On nous ramenait des arrivants qui venaient de dehors », « on était mélangés, à la douche », « en promenade ». « La seule chose qu’ils nous ont donnée, c’est deux savons de Marseille ». « C’est que ça, les précautions? », lance cet homme de 28 ans, soupçonné de trafic de stupéfiants en bande organisée.
À sa sortie, son frère, venu le chercher en urgence, n’avait pas pris d’attestation : il a dû s’expliquer auprès de la police. Aujourd’hui, Daniel a du mal à réaliser qu’il est « dehors ». « Je suis allé à Carrefour, j’ai dû faire la queue », s’étonne-t-il en souriant. « Je suis dans ma cellule, mais en « luxe » », conclut-il. « Je suis dans une grande cellule avec ma famille ».
«Ce ne sont pas les serial killers que l’on remet en liberté»
Le magistrat Ivan Guitz, vice-président de l’Association nationale des juges de l’application des peines (Anjap) et juge à Bobigny (Seine-Saint-Denis), explique l’application de ces mesures exceptionnelles : « Nous examinons la situation au cas par cas : pourquoi le détenu est là, quel a été son comportement en détention, y a-t-il des risques de dangerosité à la sortie. Les ordonnances adoptées nous permettent d’être moins exigeants sur les conditions pour bénéficier d’une sortie anticipée. Mais ce ne sont pas les serial killers que l’on remet en liberté. Et les nouveaux textes excluent certains profils : auteurs de violences conjugales, personnes impliquées dans des crimes ou des affaires de terrorisme notamment. La majorité des détenus restera en détention, il ne faut pas se faire d’illusion. On parle de 5 000 à 6 000 détenus, sur un total de 70 000 en France.
LQ/AFP
(*) prénoms d’emprunt