Quatre jeunes cherchaient de l’argent facile. L’un a été arnaqué par les trois autres lors d’un faux deal de marijuana. La 13e chambre correctionnelle a tenté de démêler les différentes versions des protagonistes.
Andy, 23 ans, a besoin d’argent pour passer son brevet de maîtrise. La seule idée qui lui est venue à l’esprit pour réunir l’argent nécessaire est d’acheter un kilogramme de marijuana et de le revendre. «Vous êtes cuisinier, vous auriez pu faire des extras ou demander à vos parents de vous avancer l’argent nécessaire ?», demande la présidente de la 13e chambre correctionnelle au jeune homme à court d’arguments. Il obtient le numéro d’un certain Corby qu’il contacte sur Snapchat. Ce dernier, qu’il ne connaît pas, accepte de lui fournir la drogue en échange de 2 350 euros. Andy ne se méfie pas – «C’était le contact d’un ami, j’avais confiance» –, réunit la somme, prend un couteau et se rend à Dudelange au rendez-vous, le 21 novembre 2019 à 21h. La transaction dégénère, il tombe et se blesse gravement à l’épaule, blesse Edo d’un coup de couteau. Les jeunes prennent la fuite avec l’argent et Andy rentre chez lui penaud de s’être fait avoir. La police le tire de son lit à 2h du matin. Entre-temps, Sam a appelé les secours pour sauver son ami Edo qui saigne abondamment, Nino a disparu, de même que l’argent volé.
Les trois garçons, tous nés entre 1999 et 2001, comparaissaient vendredi pour coups et blessures volontaires ayant causé une maladie ou une incapacité de travail, vol avec violence et menaces et vente de stupéfiants. Au final, de la marijuana, il n’y en a jamais eu. En lieu et place, des bouteilles d’eau dans un sac devaient tromper Andy et permettre aux trois autres de récupérer l’argent. Ces derniers n’auraient jamais eu l’intention de vendre le kilogramme demandé. «Je ne savais pas où trouver une telle quantité», indique Sam. «Je consommais beaucoup à une époque et je savais que Sam avait souvent de grandes quantités, a expliqué Nino en début d’audience. Je lui ai proposé l’affaire.»
Corby est l’alias de Nino sur Snapchat. Ce dernier prétend pourtant ne jamais être entré en contact avec Andy. Il ne serait que l’intermédiaire qui aurait prêté son téléphone à Sam pour faciliter la prise de contact. Sam serait la «tête pensante» et Edo le «monsieur muscles» qui devait intervenir en cas de problème. «Chacun avait un rôle, mais je n’ai jamais été en contact avec Andy avant le soir des faits», admet Sam. Reste que le rôle de Nino est, pour les juges, plutôt flou. Pourquoi, s’il n’était que l’intermédiaire, a-t-il accompagné les deux autres lors du deal ?, demande la présidente de la chambre. «Je n’avais pas confiance», répond Nino, qui n’aurait pas participé à la transaction. Il aurait été distrait par un coup de téléphone de sa petite amie pendant que Sam prenait ses jambes à son cou face à un Andy armé d’un couteau et qu’Edo tentait d’aider son ami avant qu’Andy ne bascule au sol où s’est poursuivie la bagarre.
«Cache le couteau ! Cache le couteau !»
Les trois compères se retrouvent à une station-service. Edo demande à Sam de prévenir les secours. En arrière-fond de l’appel, le standardiste du 112 entendra : «Cache le couteau ! Cache le couteau !» Une sommation suffisante pour qu’il prévienne la police. Pendant ce temps, Nino en aurait profité pour disparaître avec le porte-monnaie de la victime. «Vous oubliez vos propres affaires dans la voiture, mais vous partez avec l’argent ?» s’étonne la présidente. «Vous dites ne pas avoir confiance en Sam pour la part du butin, mais vous avez suffisamment confiance pour lui prêter votre téléphone. Tout cela montre que l’affaire ne s’est pas déroulée comme vous le prétendez et que vous êtes la tête pensante du trio. (…) Soit vous mentez, soit les deux autres mentent.»
Les versions de Sam et Edo sont identiques. Sam n’était pas à l’aise. Il a insisté pour que son copain l’accompagne. Pas très sûr de son coup, Edo aurait fini par accepter de les suivre après de nombreux appels de Sam. Par sécurité, il embarque avec lui un coup-de-poing américain pourtant illégal. «C’est un garçon loyal et engagé», notera Me Penning, son avocat. On a pu le constater à la barre où il n’a pas hésité à faire part aux juges de ses propres conclusions avec force gestes des bras. «On veut me faire dire que je tiens un coup-de-poing américain, un couteau, que je donne des coups et que je prends l’argent, alors que j’ai un bras blessé», dit-il notamment quand les juges essayent de déterminer qui a pris l’argent d’Andy et si Edo a fait usage de son arme contre lui. Dans la confusion, les trois prétendent ne pas se souvenir à qui Andy a remis son argent.
« Cela ne pouvait que rater»
«Quelle équipe !, dira d’eux Me Penning. Ils ne sont pas assez raffinés pour se prendre pour des grands. Cela ne pouvait que rater.» L’avocat, comme ses confrères, demande aux juges de faire preuve de clémence et plaide «l’inconscience de trois idiots qui regardent trop la télévision». Si une peine devait être prononcée, les trois avocats demandent qu’elle n’apparaisse pas au casier judiciaires des trois jeunes qui, après leur passage en prison – six semaines pour Edo et Sam, 4 mois pour Nino –, font leur possible pour repartir dans la vie. Ils demandent que ces peines soient assorties d’une suspension de prononcé ou à titre subsidiaire commuées en travail d’intérêt général, assorties de sursis intégrale ou probatoire. Tous trois s’opposent à de la prison ferme.
Le représentant du parquet n’est quant à lui pas tout à fait d’accord. Il indique que «cela ressemble à un mauvais film avec de très grands amateurs et au moins un mauvais acteur». Pour lui, il s’agit de «bien plus que d’une connerie». Les trois jeunes avaient l’opportunité à plusieurs reprises de renoncer, mais leur détermination à avoir de l’argent les en aurait empêchés. Il requiert une peine de 18 mois de prison contre Nino qu’il pense être l’organisateur et une peine de 12 à 15 mois à l’encontre des deux autres. «Les évènements s’emboîtent mieux dans leur version des faits. Leur besoin de vérité explique pourquoi ils sont restés moins longtemps en prison que Nino. Ils ont arrêté de rejeter la responsabilité sur l’autre», souligne-t-il. Le parquet s’oppose aux travaux d’intérêt général.
Les trois jeunes hommes seront fixés sur leur sort le 20 mai.
Sophie Kieffer