Au printemps 2017, plusieurs alertes à la bombe avaient secoué le pays. Le cinéma Utopolis et le centre commercial Auchan au Kirchberg, le City Concorde à Bertrange, le magasin Globus à Bettembourg et les CFL avaient été visés. Le procès de l’auteur des mystérieux coups de fil a eu lieu mercredi matin.
«Est-ce que vous m’entendez bien? Au nom de l’État islamique, je voulais vous dire que j’ai déposé une bombe à Utopolis et Auchan. Je vais la déclencher à 19 h.» Les grands moyens avaient été déployés après cet appel anonyme reçu par le cinéma au Kirchberg le 23 mars 2017. Il était 17 h 53. Les clients avaient été évacués et le secteur bouclé. L’opération, qui avait mobilisé l’unité de garde et de réserve mobile (UGRM), les cadres supérieurs et l’équipe cynophile, avait duré quatre heures environ… Aucune bombe n’avait été trouvée.
Que l’auteur de cette fausse alerte se trouvait en réalité dans la prison de Nancy-Maxéville, les autorités ne l’avaient appris que quelques semaines plus tard. Avant, la voix à l’autre bout du fil avait fait trembler d’autres centres commerciaux du pays. Le 8 avril, c’est le City Concorde à Bertrange qui avait été la cible d’un appel mystérieux : «Écoutez-moi bien. Nous avons empoisonné des articles dans l’alimentation. Allah akbar!» Le 20 avril, c’est le magasin Globus à Bettembourg qui avait été menacé d’une «explosion». De nouveau tout était faux, mais l’intervention avait donné du fil à retordre. Car entre les produits d’engrais, difficile de déployer les chiens renifleurs. L’auteur était revenu à la charge le 27 avril, à 8 h 58, au City Concorde : «Écoutez-moi bien. C’est important. Il y a deux bombes. Je vous donne 50 minutes pour évacuer le magasin. Ceci n’est pas une blague.»
Dès la première fausse alerte, les autorités luxembourgeoises avaient pu retracer que l’appel avait été effectué depuis un numéro de portable français, probablement depuis l’étranger. Ce n’est toutefois que lors du cinquième appel que l’auteur avait pu être localisé en collaboration avec les enquêteurs français. C’était le 30 avril, lorsqu’il avait appelé la gare CFL de Luxembourg pour annoncer qu’on «avait placé de l’explosif dans deux trains». Le fameux numéro géolocalisé près de la prison avait entretemps été mis sous écoute. L’accent luxembourgeois de la voix avait mis la puce à l’oreille des enquêteurs. Étant le seul détenu luxembourgeois à Nancy à l’époque, Norbert S. (56 ans) avait facilement pu être identifié. Au moment des faits, il était en train de purger une peine.
L’hôtel Bristol et la suite pour le couple grand-ducal
Et, visiblement, ce n’était pas les premiers appels qu’il passait depuis sa cellule. Durant les six jours d’écoute, l’enquête a permis de relever un bon nombre de communications : 836 au total. Le détenu jonglait entre différentes identités. Ainsi s’était-il fait passer pour un ancien membre de la légion étrangère ou encore pour le colonel Martin… lorsqu’il a invité son interlocuteur au 14 juillet à Paris. Il lui avait précisé de ne pas oublier son extrait de casier judiciaire et sa carte d’identité pour rencontrer le président. Une autre fois, il avait pris le nom du colonel Michaux en appelant l’hôtel Bristol afin de réserver une suite pour le couple grand-ducal… «Il sait vraiment embobiner les gens», relève l’enquêteur de la police judiciaire entendu mercredi matin à l’occasion du procès.
Cette affaire avait dû être refixée pas moins de quatre fois. Ce n’est pas pour autant que le tribunal a pu interroger le prévenu, âgé aujourd’hui de 60 ans. Car le sexagénaire s’est finalement fait représenter par sa nouvelle avocate. «Il regrette ce qu’il a fait et assume sa responsabilité. Mais quand on lui demande pourquoi, il ne peut l’expliquer», a fait savoir Me Nicky Stoffel.
L’homme, qui a fini de purger sa peine en France, a été extradé au Luxembourg en 2019. À l’expert neuropsychiatre qui l’a rencontré à Schrassig, il a confié que les conditions carcérales à Nancy ne lui plaisaient pas. Espérait-il avec son acte un transfert vers le Luxembourg? Toujours est-il qu’il a affirmé ne rien à voir avec l’islamisme. Selon l’expert, le prévenu présente une personnalité dyssociale, un léger trouble dépressif et un trouble de l’adaptation. Mais rien de cela n’aurait altéré ou aboli son discernement.
«C’est un menteur pathologique»
Lors de son réquisitoire, le représentant du parquet n’a pas mâché ses mots : «C’est un menteur pathologique notoire qui n’est conscient d’aucune faute.» Son casier judiciaire fait état de nombreuses condamnations pour escroqueries. La première remonte à 1979 quand il avait à peine 19 ans. Il a notamment émis des chèques sans provision. Avec six pages de casier aujourd’hui, il n’a aucune chance pour un aménagement de peine. Son avocate a ainsi plaidé en faveur d’une «petite peine de prison» et pour qu’il puisse intégrer une structure où il serait assisté à sa sortie.
Le parquetier ne détecte aucune circonstance atténuante et requiert «une peine à la hauteur du trouble public» : 5 ans de prison ferme. «En 2017, on était après les attentats de Bruxelles, Nice, Londres… Il savait qu’avec les termes qu’il employait, il provoquerait une évacuation des locaux.» «Prononcer une amende ne donne pas de sens si en plus il doit rembourser les parties civiles», a considéré le parquet. Le centre commercial City Concorde réclame en effet 150 000 euros de dommages et intérêts, Globus près de 13 000 euros et la société Utopia un peu plus de 14 000 euros. Le CGDIS s’est lui aussi constitué partie civile. Pour les quatre heures d’intervention des pompiers professionnels de la Ville de Luxembourg lors de la fausse alerte au Kirchberg, il réclame 1 500 euros de dommages et intérêts.
La 18e chambre correctionnelle rendra son jugement le 21 janvier.
Fabienne Armborst