Le Quotidien Indépendant Luxembourgeois
Ils sont deux à comparaître depuis la semaine passée devant la 13e chambre criminelle. Si le prévenu Lee K. (36 ans) est poursuivi pour les homicides de Leudelange et du Fräiheetsbam, Alden S. (24 ans) a bénéficié d’un non-lieu pour ce dernier. Selon les calculs de l’enquêteur, il ne peut en effet pas s’être rendu sur le lieu du crime durant cette nuit du 13 au 14 novembre 2016. Décryptage.
« Alden S. ne pouvait matériellement pas être sur place.» Avec minutie, l’enquêteur a retracé mercredi après-midi, au 6e jour du procès, l’emploi du temps du jeune homme durant cette nuit du 13 au 14 novembre 2016. Officiellement, il travaillait. Il était censé surveiller un chantier au Ban de Gasperich. Même s’il s’est avéré qu’il n’a pas tenu son poste, d’après l’enquête, «il est quasi impossible» qu’il ait alors conduit la Mercedes A170 de Lee K. De sortie avec une copine qui travaillait dans un cabaret, la chance a voulu qu’Alden S. soit aperçu au bon moment à une station-service. Les images de la vidéosurveillance ne laissent entrevoir aucun doute : il était en route avec la BMW grise de son père. «Même si on peut envisager que depuis le Ban de Gasperich il a pu faire un crochet vers le Fräiheetsbam, en un laps de temps de 7 minutes ce n’était pas possible», a calculé l’enquêteur.
Pour Lee K., les conclusions ne sont toutefois pas les mêmes. Peu après 21 h, son portable quitte son domicile de Strassen. L’historique du bornage téléphonique mémorisé par l’opérateur montre qu’il se dirige ensuite en direction de Luxembourg-ville. Certes, jusqu’à 00 h 01 plus aucune activité n’est relevée sur son portable. Mais c’est là qu’interviennent diverses caméras de surveillance.
Dans le viseur des Contributions directes
Une Mercedes A170 sans enjoliveur à l’avant côté gauche – la voiture saisie chez Lee K. présentait le même défaut – a ainsi notamment été aperçue rue du Fort Wedell par la caméra de l’administration des Contributions directes à 21 h 47… avant de réapparaître 12 minutes plus tard en sens inverse. Ce qui correspond également à l’heure de disparition de la prostituée dans le quartier de la Gare. «La qualité des images est misérable, mais on peut distinguer un conducteur avec peu de cheveux», précise l’enquêteur.
Autre élément déroutant : le mouvement du portable de la prostituée qui a pu être retracé grâce aux antennes relais. À 22 h 10, elle se situait à hauteur de l’entrée de l’autoroute A4 à Hollerich, pour ensuite se rapprocher du Fräiheetsbam. Et puis entre 22 h 31 et 22 h 52, soit près de 20 minutes, le portable de la victime bornait à l’antenne relais la plus proche du domicile de Lee K. à Strassen… L’enquêteur poursuit : «Vu que les traces ADN de la victime ont été retrouvées dans la Mercedes, quelqu’un doit l’avoir conduite dans cette voiture.»
Si on suit les déclarations de Lee K., il aurait prêté vers 21 h son véhicule à Alden S. pour que ce dernier puisse aller chercher quelqu’un à l’aéroport. Une histoire qui ne tient toutefois pas la route, d’après l’enquêteur. Car si on suit le retraçage de son portable, Lee K. était bien en mouvement peu après 21 h. «Il n’était certainement pas en route en trottinette…», s’est permis de remarquer la présidente.
Le SMS que Lee K. avait écrit à 20 h 57 à Alden S. «Wou bass du?» (Tu es où?), la réponse de ce dernier : «À la maison», puis le «OK» ne laissent pas non plus transparaître un quelconque prêt de voiture.
Lors de l’analyse du portable de Lee K., un autre message avait sauté aux yeux de l’enquêteur. Le 9 novembre au soir, il avait écrit à quelqu’un : «Hues du Loscht een ëmbréngen ze goen?» (T’as envie d’aller tuer quelqu’un?»). Deux minutes plus tard, Alden S. cherchait à joindre Lee K. Simple coïncidence? Le lendemain, le garde forestier avait découvert le corps sans vie du dealer dans la forêt entre Leudelange et Schléiwenhaff.
«Peut-être ont-ils regardé trop de films…»
Depuis leur arrestation, Lee K. et Alden S. donnent l’impression qu’ils ne s’entendent pas du tout. Ils se renvoient la balle. Tous deux contestent avoir appuyé sur la détente du pistolet. Alden S. prétend que Lee K. l’aurait entraîné dans cette affaire. Les messages échangés entre le duo après la mort du dealer ne laissent toutefois pas à la chambre criminelle l’impression d’une si grande mésentente. «Peut-être ont-ils regardé trop de films… Et ils tentent ce moyen pour s’en sortir…», a noté la présidente, mercredi. Suite du procès ce jeudi après-midi.
Les traces de sang ont reparlé…
Les conclusions livrées jeudi dernier par l’expert en morphoanalyse des traces de sang avaient quelque peu bousculé la lecture du dossier. En faisant parler les traces de sang, il avait esquissé de nouvelles hypothèses sur la mort du dealer à bord de la Mercedes A170. Sur quoi la défense avait demandé une reconstitution avec le véhicule à la fourrière judiciaire. Le rendez-vous était fixé à mercredi matin. À l’aide d’un mannequin auquel on a enfilé les vêtements ensanglantés, les différents scénarios ont été passés en revue. Les résultats de cette instruction complémentaire n’ont pas filtré mercredi après-midi lors des débats, mais Me Pim Knaff nous en a touché un mot. À l’entendre, «une partie des hypothèses émises par l’expert ont pu être réfutées». La reconstitution aurait permis de retourner le dossier dans la bonne direction, telle que présentée par les enquêteurs : «C’est-à-dire qu’au moment du tir, la victime était assise sur le siège passager. Elle a été tuée par une personne qui était sur la banquette arrière.» Me Knaff a parlé d’une journée importante pour son client, Alden S. Car cette conclusion déchargerait clairement ce dernier.
Fabienne Armborst
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