Trois heures, c’est le temps qui a été accordé à Tom pour résumer les liens entre sa famille, la Sacec et les francs-maçons et pour retracer l’origine des titres que son père, son frère et lui sont soupçonnés d’avoir volés.
«Ceci pour t’avertir qu’on est en train de faire feu de tout bois et de faire de toi le bouc émissaire dans l’affaire qui t’oppose à Victor Gillen. Te cacherais-je que ce dernier s’emploie à cor et à cri à saper ton crédit et à incriminer ton comportement de prévaricateur ?» Ces deux phrases issues d’un courrier électronique envoyé par un personnage haut placé de la franc-maçonnerie souhaitant rester anonyme en 2011 à Jean, résument l’état d’esprit de ses deux fils Luc et Tom, ainsi que l’aura de mystère dont sont auréolées les loges franc-maçonnes. Les deux frères se sentent comme des David affrontant des Goliath dans un combat déséquilibré dont l’issue pourrait leur être fatale.
Mardi, ils comparaissaient pour la quatrième fois à la barre de la 12e chambre correctionnelle sans leur père Jean, malade du cœur. Ce dernier, un franc-maçon, aurait détourné les titres aux porteurs de la société Sacec, société immobilière de la Grande Loge de Luxembourg et du Suprême conseil du rite écossais ancien et accepté pour le Grand-Duché de Luxembourg (Sucol). Les deux associations ont porté plainte contre le père et ses deux fils, le 17 février 2012.
Après une succession de témoins appelés à la barre par la défense et les parties civiles, Tom a tenu mardi à redresser quelques «contre-vérités» racontées sur sa famille. De leur propre aveu plutôt discret sur leurs origines familiales, les trois prévenus ont accepté d’en lever des pans pour leur défense et démontrer qu’ils auraient bien pu acquérir des actions de la Sacec dont la famille fait partie des fondateurs. «Gert Klerstadt est le seul témoin, véritable ami de la famille», a estimé Tom, sous-entendant que le vieil homme est le seul à être de bonne foi. Tous les autres n’auraient livré que «des déclarations contradictoires» et n’auraient dit «que ce qu’ils ont entendu ou ce qu’ils pensent des 1 200 actions de la Sacec». Tout le monde mélangerait tout et les enquêteurs auraient suivi la théorie de Me Lutgen, l’avocat de la partie civile, sans pousser plus loin l’interrogation.
Tom dévoile être issu de plusieurs générations d’industriels aisés et de commerçants prospères de la capitale souhaitant faire profiter les plus démunis de leur manne. Tout commence avec Léon, un aventurier embarqué sur le Lusitania au début du siècle dernier en direction des États-Unis, et Félix de l’autre, un commerçant très actif dans le domaine du sport de haut niveau. Léon, outre sa loterie qui permettra à la Croix-Rouge de construire la maternité de la route d’Arlon, s’engage dans la société pour la propagation de l’incinération (Flamma) et est actionnaire de la Sacec (société anonyme pour la construction et l’exploitation d’un crématoire dans le Grand-Duché). Son fils, Cecil, et son petit-fils, Jean, poursuivront ses œuvres en rejoignant le conseil d’administration de la Flamma.
La Sacec sans lien avec les loges
Trois générations se seraient engagées en faveur de ces sociétés et les auraient fait prospérer pour «la bonne cause», à écouter le jeune homme. Les actions auraient servi à la financer et non à spéculer. Bien qu’ayant des administrateurs maçons, les sociétés n’auraient eu aucun lien direct avec l’une ou l’autre loge..
Documents issus des archives familiales à l’appui, Tom s’est évertué à maintenir le bateau à flot. Il s’est également appuyé sur des souvenirs de son père qui prétend notamment que la liste d’actionnaires sur laquelle repose la partie civile serait fausse. Il ne l’aurait jamais remise à Victor Gillen en 1994. Tom explique les raisons qui poussent son père à l’affirmer et indique que des actions auraient souvent été «prêtées» à des amis pour participer au repas qui suivait l’assemblée. «La plainte a été construite sur la base d’allégations», affirme le jeune homme. Malheureusement pour eux, les traces écrites sont inexistantes pour l’appuyer.
Jean et Cecil auraient tenté de récupérer les actions non réclamées après la Seconde Guerre mondiale auprès des familles qui les possédaient «pour poursuivre leur œuvre de bienfaisance». Mille deux cents actions auraient été émises par la Sacec. Les parties civiles qui réclament la confiscation des 240 actions de la Sacec et des 750 dont la propriété serait contestée, les actions non réclamées. Or, affirme Tom, les 240 actions n’auraient jamais appartenu aux deux loges comme elles le prétendent. Cecil et Jean n’auraient jamais réalisé la transaction pour les leur donner. Ils en auraient prêté à des amis maçons pour participer aux dîners, affirme-t-il, ce qui expliquerait les noms de frères sur les listes de présence.
De plus, des avenants aux statuts de la fondation Junck – qui a reçu une bonne partie des actions comme capital de départ, dont les actions contestées – rédigés par Jean, stipuleraient que les deux loges étaient uniquement des soutiens en cas de dissolution de la fondation. Jean, lassé de la financer à fonds perdus étant donné qu’elle ne donnait pas de dividendes, aurait finalement décidé de la révoquer. «Jean a continué de financer la fondation seul et à rembourser les créanciers», selon son plus jeune fils, toujours dans un but charitable qui n’aurait pas été celui des parties civiles pour qui la Sacec et ses actions auraient été une source de profits.
L’affaire est complexe, les documents manquent, les parties se déchirent. Il aura fallu plus de 130 pages à Tom pour livrer la vérité de sa famille dans cette affaire. Les juges la croiront-ils ? Ce mercredi, Tom et Luc seront interrogés sur le contenu de ses pages, puis les parties civiles répliqueront.
Sophie Kieffer