Début janvier 2020, un accrochage entre deux automobilistes route d’Esch a dérapé. Au moment de régler le constat, l’un d’eux a appuyé sur le champignon. L’histoire s’est terminée face au juge mercredi matin.
«Tout cela était digne d’un film.» Il n’y a pas que le témoin de la scène qui le dit. L’affaire de circulation qui occupait mercredi matin la 7e chambre correctionnelle sort de l’ordinaire. Le 9 janvier 2020, au petit matin, un automobiliste a traîné sur son capot un quinquagénaire sur pas moins de 553 mètres. Et tout cela pour une histoire d’accrochage…
Il est encore tôt, 6 h 20, ce jeudi matin. Mais pour Laurent* (54 ans), qui se rend au travail, la journée démarre sur les chapeaux de roues. Arrêté à un feu rouge, route d’Esch au croisement avec la rue de la Déportation à Luxembourg-Hollerich, il perçoit un choc à l’arrière. Il allume les feux de détresse, descend pour voir les dégâts sur sa BMW Alpina B6. Il veut remplir le constat. Il a aussi la police au téléphone.
Mais le conducteur de la Hyundai Getz qui lui est rentré dedans reprend place derrière le volant, allume le moteur et appuie sur l’accélérateur. Coincé entre les deux véhicules et avec aucun autre choix que de sauter sur la chaussée, Laurent raconte s’être plaqué contre le capot de la voiture en mouvement…
Accroché entre autres aux essuie-glaces, il y restera un certain temps. Cela aurait pu très mal se finir. Le témoin le confirme. Car toute cette folle scène a pris fin en haut de la côte à Gasperich près de la station-service, soit plus d’un demi-kilomètre plus loin.
C’est là qu’ils en seraient venus aux mains. Laurent parle de griffures, de morsures et de coups… Toujours est-il que quand la police arrive sur les lieux, Rafael*, qui conduisait la Hyundai, n’est plus là. Il a poursuivi sa route. Mais il y a la photo de sa plaque d’immatriculation que Laurent a prise. Et c’est ainsi qu’une patrouille le cueillera à Bettembourg.
Inculpé d’abord pour tentative de meurtre
À entendre le policier, il a eu du mal à mettre correctement le pied sur le frein. Ce sont eux qui auraient finalement dû le tirer de l’habitacle et dégager sa voiture du croisement. L’alcootest avait révélé un taux de 1,53 g par litre de sang. Ce qui signifie qu’il est passé par la cellule de dégrisement… avant de terminer en détention préventive. Inculpé pour tentative de meurtre, il y restera pendant 12 jours. Mais cette infraction a en fin de compte été écartée. Aujourd’hui on parle donc de l’alcool au volant et des coups et blessures volontaires.
Qu’il sortait d’une fête dans un bar à Hollerich où il avait bu plus d’un shot, Rafael, âgé de 46 ans, ne le conteste pas. «Cela ne se reproduira plus», a-t-il insisté. Mais pour le reste, sa version livrée à la barre diverge. Ce n’est pas lui qui a causé l’accident. Non, c’est Laurent, lors du démarrage en côte, qui l’a percuté… Rafael dit avoir voulu dégager la chaussée pour ne pas gêner la circulation. Mais Laurent aurait refusé d’aller se garer ailleurs. «Il s’est mis sur le capot», poursuit le quadragénaire. «Je lui ai dit de partir et qu’on n’était pas dans un film : « Tu n’es pas Superman… »» Il aurait aussi ralenti pour lui laisser la possibilité de descendre.
«Le conducteur de la BMW voulait absolument qu’il reste sur place», embrayera Me Philippe Stroesser dans sa plaidoirie. L’avocat considère que Rafael a fait «le mauvais choix. Il aurait dû attendre.» Mais à l’époque il aurait été totalement dépassé par la situation : l’alcool, la panique… Il estime toutefois qu’il a déjà payé lourdement avec son incarcération.
Un «fou furieux… qui voulait s’enfuir»
Le parquet n’a pas apprécié que la défense compare dans sa plaidoirie la victime à un cascadeur qui a sauté sur le capot. Pour qualifier le comportement de Rafael, le premier substitut a parlé d’un «fou furieux» : «Il voulait s’enfuir, peu importe les conséquences.» Dans ces conditions, difficile pour la victime de sauter du capot.
Entre l’accident et le procès, Rafael n’a pas demandé la restitution de son permis. La défense a demandé d’assortir l’interdiction de conduire qui dépasserait les 13 mois, soit la période qui s’est écoulée, d’un sursis. Le parquet n’est pas d’accord. Il requiert une interdiction de conduire de 16 mois ferme, une amende ainsi que six mois de prison, sans s’opposer à un sursis. Et d’insister : «Il se considère comme la victime. Il n’y a pas de prise de conscience de la gravité de ses actes.» Pour la confiscation de la voiture, le parquet se rapporte à prudence du tribunal.
Laurent s’est constitué partie civile. D’après lui, le dommage moral est impayable. «Tous les matins, j’espère que le feu devant la CNS n’est pas rouge pour que personne ne me rentre dedans…» Mais il demande réparation du préjudice matériel : son portable endommagé, sa chaîne cassée et les frais de nettoyage de sa chemise qu’il a dû emmener au pressing, soit un total de 420 euros.
Prononcé le 17 mars.
* Les prénoms ont été modifiés.
Fabienne Armborst