Le quartier de Bonnevoie tente de comprendre après le meurtre de mardi soir. Ses habitants dénoncent une montée de la violence depuis quelques années.
Mercredi, le parquet de Luxembourg annonçait par communiqué que mardi, en début de soirée, «un jeune de 18 ans (avait été) mortellement blessé par arme blanche» au cours d’«une altercation». Le parquet faisait en outre savoir que «deux mineurs de 15 et 17 ans» avaient été interpellés et que le juge d’instruction avait décidé une mesure de garde provisoire à l’Unité de sécurité (Unisec) de Dreiborn. Le même communiqué rapportait que le parquet de Luxembourg avait «immédiatement saisi le juge d’instruction d’une instruction pour homicide volontaire».
Sous le choc, de nombreux habitants du quartier de Bonnevoie ont accepté de témoigner, mais tout en souhaitant garder l’anonymat, vu la sensibilité de l’affaire. Un natif, résident du quartier «depuis toujours» et connu de tous, explique au Quotidien que «Bonnevoie a bien changé depuis quelques années, depuis l’arrivée de l’Abrigado et du foyer Ulysse. Cela ne nous a apporté que des soucis. Il y a plein de braquages de commerces, le nombre de cambriolages d’habitations privées augmente de plus en plus. Depuis le confinement, il y a au moins une dizaine de cafés qui se sont fait cambrioler. Il y a des groupes qui vivent dehors la nuit, quand tout le monde est confiné chez soi. Ces groupes deviennent de pire en pire. Par ailleurs, les bagarres sont devenues régulières et impliquent toujours les mêmes groupes, le même genre de personnes : des sans-abri, des gens qui boivent dans la rue, des toxicomanes, des chômeurs… Ces faits se produisent toujours près de l’église et de la piscine, dans cette zone-là. Sans exagérer, les choses dégénèrent depuis deux ans environ. Il n’y a pas un jour sans qu’il ne se passe quelque chose dans ce coin. Avant, le quartier était agréable, on pouvait sortir sans être importuné. Aujourd’hui, à peine tu sors dans la rue, on te demande une cigarette, puis 10 cents quelques mètres plus loin… La situation s’est dégradée».
«Tous les jeunes se connaissaient»
Un peu plus loin, sur les lieux du crime, dans la cour du Couvent, des riverains et habitants du quartier, de passage, se sont attroupés autour des bouquets de fleurs, photos et bougies déposés à terre juste derrière l’agence de communication Binsfeld. Une mère de famille, riveraine depuis 18 ans, raconte que sa fille, qui revenait de ses cours, est passée par là quelques minutes après le drame : «Il y avait la police partout et des tentes blanches cachaient la scène du crime. Tout était bouclé. Mais je peux vous dire que la victime connaissait ses auteurs, car tous les jeunes se connaissent à Bonnevoie. C’est le quartier des Portugais, Cap-Verdiens… et ils se connaissaient, car ils ont été ensemble au précoce. Et puis au fondamental, à l’école de la rue Demy-Schlechter ou à celle de la rue Jean-Baptiste-Gelle. Et enfin au lycée technique de Bonnevoie (LTB). On est choqués, d’autant plus qu’il s’agissait de gamins. De manière générale, moi je m’empresse de rentrer chez moi quand je sors, mais je constate qu’il y a souvent des jeunes qui traînent sur la place du Parc, notamment le soir. Et puis il y a les drogués sur la place Léon-XIII et au Dernier Sol… C’est difficile à comprendre, surtout que le commissariat se trouve à deux pas (rue Auguste-Charles). Le quartier était beaucoup plus calme à l’époque. Aujourd’hui, il est très mélangé, il y a beaucoup plus d’étrangers.»
«Ici, à Bonnevoie, c’est la catastrophe…»
Une autre riveraine, elle, raconte être sortie sur son balcon mardi vers 18 h 45 pour fumer une cigarette. Elle raconte la suite : «J’ai entendu des cris forts et des insultes de plusieurs personnes et des mouvements. Ils couraient d’un côté à l’autre. J’ai tout de suite imaginé qu’il allait y avoir une catastrophe et un mort. Je l’ai dit à ma fille, qui m’a empêchée d’aller dans la rue voir ce qui se passait. Après, en voyant la police et les pompiers, puis en étant informée à 20 h 30, j’ai su qu’il y avait un mort.»
Cette riveraine, qui a vécu rue Sigismond et rue Auguste-Charles pendant 21 ans, estime d’ailleurs qu’«ici, à Bonnevoie, c’est la catastrophe. La situation s’aggrave de plus en plus dans le quartier. Les portes des caves des résidences sont régulièrement forcées. Des gens y viennent pour voler, se droguer ou bien pour dormir la nuit. Moi-même, j’ai peur d’aller à la cave pour descendre les poubelles. On appelle la police de deux à trois fois par semaine. Avant, Bonnevoie, ce n’était pas du tout comme ça, c’était un quartier tranquille. La situation a commencé à changer il y a douze-treize ans, selon moi. Et avec le Covid, on a encore plus d’emmerdements, avec ces gens qui viennent dormir dans nos caves, tous les jours même. Ce sont des SDF. Avec le Covid, l’après-midi aussi, ce n’est pas facile, car les gens traînent dans la rue au lieu de rester dans un café, car ils sont fermés. Bref, ils ne savent pas où aller… et moi je ne me sens pas en sécurité dans le quartier.»
Malgré le contexte dramatique, une dame d’un certain âge a souhaité donner un autre son de cloche au sujet de la réputation d’insécurité du quartier : «Je vis ici depuis 30 ans et je n’ai pas à me plaindre, à part de certains vagabonds du côté de la rue de Bonnevoie, de la place Léon-XIII et du Dernier Sol. Je suis bien ici!», a tenu à préciser la senior.
Claude Damiani
«Ils ont commencé à frapper…»
Ce résident de Bonnevoie qui habite à proximité était aux premières loges, mardi, quand le drame s’est produit. Il raconte sous le couvert de l’anonymat : «Il y a eu une altercation entre plusieurs jeunes, trois ou quatre, qui a éclaté vers 18 h 50, mardi soir. Cela a duré environ 10 minutes. Ils ont commencé à se frapper et un des jeunes a sorti un couteau avant d’en poignarder un autre, qui est tombé au sol. Ils criaient et s’insultaient durant l’altercation; j’ai notamment entendu des insultes en français, à savoir «fils de p…». Ensuite, j’ai pu entendre le bruit de la lame du couteau glisser sur le sol; je pense que quelqu’un a peut-être donné un coup de pied pour l’éloigner, mais après ils l’ont ramassé. Une ambulance a été appelée, mais j’ai appris le décès par après, car j’avais un rendez-vous et ai dû partir. Je pense qu’il y avait d’autres personnes autour qui n’ont pas participé et tentaient de s’interposer. C’était difficile de discerner qui en voulait à qui. Cela dit, durant l’après-midi, j’ai entendu des cris, vers 15-16 h. Je pense donc que tout avait commencé bien avant. Les cris sont venus d’un peu partout, il y avait des mouvements de personnes, et puis quand le coup a été donné en début de soirée, un jeune est resté à côté de la victime au sol. J’imagine que c’était son ami… J’ai entendu des paroles en luxembourgeois, ils portaient des capuches et des masques Covid. Il y a pas mal de bandes qui cherchent la bagarre dans le coin, donc je suis resté à l’écart, je n’avais pas envie de me faire casser la gueule. Mais, en général, ils cherchent la bagarre entre eux et n’agressent pas les autres habitants du quartier. Sinon, il est juste qu’il y a souvent des rassemblements de jeunes sur la place du Parc, au niveau du kiosque.»