Les deux journalistes n’avaient pas l’intention de nuire en dénonçant le coup de sang de l’ancien directeur du Mudam. Leur reportage a entraîné une chaîne mortifère de réactions en cascade.
Rien n’a changé. Les deux camps campent sur leurs positions et Alain Berwick essaye de se faire oublier par les juges. Sophie Schram et Marc Thoma sont de mauvais journalistes et Enrico Lunghi est une brute impulsive qui tabasse les femmes. La caricature est aisée quand on a des intérêts et des réputations à défendre. L’affaire qui les oppose se poursuit désormais à la Cour d’appel depuis lundi après-midi.
Sophie Schram et Marc Thoma sont accusés d’avoir manipulé un reportage dans lequel la journaliste assure avoir été blessée par Enrico Lunghi qui refusait de répondre à une de ses questions. Le tout couvert par un certificat médical douteux et par Marc Thoma, tête pensante de l’émission de RTL Den Nol op de Kapp. Depuis neuf ans, les accusations et les reproches fusent de part et d’autre. On critique les méthodes de l’adversaire en oubliant qu’on les a soi-même utilisées.
Au milieu de tout cela, le président de la Cour d’appel qui recadre les débats. Il veut savoir si le reportage diffusé a été manipulé ou trafiqué, ou pas. Les juges de première instance avaient estimé que cela avait bien été le cas. Sophie Schram et Marc Thoma avaient été reconnus coupables de diffamation. Tous deux s’en défendent. Cette fois, ils espèrent être acquittés et refusent logiquement l’éventualité d’une suspension du prononcé qui leur éviterait une condamnation, mais ne les exonérerait pas d’une éventuelle culpabilité.
Mercredi, leur défense a préféré tirer de la manche de sa robe la carte de la violation du secret de l’instruction et de la présomption d’innocence pour demander l’irrecevabilité des poursuites. En cause, un livre-enquête de Catherine Gaeng, l’épouse du plaignant, portant sur l’affaire. L’autrice y cite des documents jugés confidentiels et aurait ainsi exposé les deux journalistes à l’opprobre populaire avant même leur jugement.
La défense insiste sur les coups portés et dénonce une «campagne de haine» lancée contre la journaliste par «le lobby Lunghi» pour «la diaboliser». «Cette affaire est l’exemple type de comment faire d’un agresseur une victime», note l’avocate. «Les coups et blessures sont le nœud du problème (…) Les journalistes avaient l’obligation, la liberté de montrer les gestes d’un homme public au public.» Enrico Lunghi y voit une diffamation. Sa réputation est en jeu.
«Un choix de montage»
«Nous demandons l’irrecevabilité des poursuites pour violation de la présomption d’innocence», répond l’avocate après avoir lu des passages du livre concernant Sophie Schram ou d’articles de presse. «L’interview n’a pas été dénaturée. Le montage est sans aucune conséquence juridique.» Pour elle, le dossier pénal a été «intoxiqué» par les connaissance de «Santo Enrico», «l’intouchable». Le reportage critiquait «le comportement professionnel injustifié du fonctionnaire», selon Me Lorang. Un homme public qui a un devoir de retenue.
La Cour d’appel doit jauger s’il s’agissait de liberté de la presse, de l’obligation d’informer ou d’une intention méchante parce qu’on lui avait tordu le bras ou parce que Marc Thoma avait voulu protéger sa collaboratrice. «On parle de bien plus que de culpabilité ou d’innocence, mais d’un principe élémentaire de l’État de droit», a estimé Me Baulisch, qui a recentré le débat. «C’est aussi une question de liberté de la presse.»
Son client a fait «un choix de montage». «En faire un procès pénal va trop loin. Il a fait usage d’un droit que la liberté de la presse lui octroie.» Une sanction pourrait décourager les journalistes d’exercer leur métier en leur âme et conscience. Marc Thoma jure avoir réalisé son reportage «sans mauvaise foi». Il affirme même avoir retiré des images en défaveur du plaignant. Les deux avocats ont plaidé en faveur de l’acquittement de leurs clients, subsidiairement à l’irrecevabilité.
L’avocat général a requis la confirmation du jugement prononcé par la 7e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg. À une exception près, les coups et blessures contre Sophie Schram. Pour le magistrat, la journaliste les a exagérés. La jeune femme, dont «la vie a été détruite», a affirmé avoir «voulu faire son travail de manière professionnelle». Juste avant, l’avocat général avait annoncé que «chaque liberté a ses limites». Elles sont balisées par la déontologie journalistique.
La Cour rendra son arrêt le 25 juin.