Au printemps 2019, un jeune homme avait garé sa BMW devant un radar mobile de la police à Remich. Son comportement a beau être répréhensible, il n’est pas prévu comme infraction par le législateur luxembourgeois…
Après s’être fait flasher sur la N2 à Remich, un jeune automobiliste était revenu sur les lieux avec un autre véhicule pour se garer devant le radar mobile de la police. Pendant pas moins de 41 minutes cet après-midi du 11 avril 2019, sa BMW M2 avait empêché le fonctionnement de l’appareil… Cette histoire a conduit l’homme de 34 ans devant le tribunal correctionnel.
Le parquet reprochait au trentenaire d’avoir sciemment placé sa voiture au bord de la route de manière à perturber le fonctionnement du radar. Il avait requis une interdiction de conduire de six mois et une amende appropriée ainsi que la confiscation de la BMW qui a servi à commettre l’infraction.
Un véhicule au lieu d’un brouilleur de radar
Sauf que le juge a constaté qu’aucune infraction pénale ne peut être retenue à l’encontre du prévenu. Dans son jugement rendu le 23 juillet 2020, il retient que le trentenaire n’avait placé aucun brouilleur de radar, détecteur ou autre dispositif de ce genre. Ce sont en effet les appareils visés par l’article 8 bis de la loi du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques. Ils sont interdits, car ils sont «destinés à déceler la présence ou perturber le fonctionnement d’instruments servant à la constatation d’infractions».
Un «véhicule automoteur», pour sa part, est «destiné à la circulation automobile sur les voies publiques», constate le juge. Le prévenu aurait donc simplement garé sa voiture près du véhicule radar de la police. D’où l’acquittement.
Une décision avec laquelle le parquet n’était pas d’accord. Il avait interjeté appel. Pour le parquet général, qui représente le ministère public en deuxième instance, l’argumentaire de cet appel ne tient toutefois pas la route. Face à la Cour d’appel lundi matin, le premier avocat général Marc Harpes n’y est pas allé par quatre chemins : «Je constate que même si le comportement du prévenu est répréhensible, il y a une lacune dans l’arsenal répressif.»
Il a décortiqué le texte de loi. Et comme le premier juge, il arrive à la conclusion que le fameux article 8 bis n’est pas applicable. Si en plaçant sa voiture devant le radar, le prévenu a bien perturbé le fonctionnement du radar, la deuxième condition de l’infraction ne serait pas établie : «La voiture n’est en soi pas destinée à perturber le fonctionnement de cet instrument.»
Le représentant du parquet général a réfléchi à une éventuelle requalification des faits. «Là non plus, je n’ai rien trouvé», lâche-t-il sans détour. Le procès-verbal de la police faisait état d’une entrave à la justice. Mais ça ne colle pas avec ce qui s’est passé. Car on ne pourrait pas dire que le prévenu a fait obstacle à la manifestation de la vérité : il n’aurait ainsi pas détruit, soustrait, recelé ou altéré un document public ou privé ou un objet de nature à faciliter la découverte d’un crime ou d’un délit.
«Il faudrait que le législateur adapte le texte»
Il voulait «embêter» les forces de l’ordre, avait dit le prévenu. Ce n’est pas pour autant qu’on peut retenir l’infraction de l’outrage envers agents, ajoute le représentant du parquet général.
D’après lui, en raison de la lacune que présente le texte de loi, impossible pour la justice de sanctionner le comportement du prévenu. «Il faudrait que le législateur adapte le texte.» Voilà pourquoi il demande la confirmation de l’acquittement prononcé en première instance. Une demande à laquelle se rallie Me Jean-Jacques Schonckert, qui représentait le trentenaire lundi à l’audience. Et de dire : «On aurait pu s’épargner toute la procédure si on avait lu correctement le texte avant.»
Toujours est-il que l’avocat est «content que le parquet général ait eu la sincérité de dire que l’appel du ministère public n’était pas fondé». C’est effectivement plutôt rare. En 35 ans de métier, c’est la première fois que Me Schonckert entend cela.
À noter que le ministère public n’a pas la possibilité de se désister de son appel. Une fois que l’action est lancée, elle doit suivre son cours. C’est ainsi que l’affaire a fini entre les mains de la Cour d’appel. Prononcé le 22 février.
Fabienne Armborst