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L’Agence internationale de l’énergie atomique perd son directeur


Les trois mandats de Yukiya Amano ont été largement marqués par le nucléaire iranien. (Photo archives AFP)

Apôtre de la lutte contre la prolifération nucléaire, Yukiya Amano a passé aux commandes de l’AIEA une décennie marquée par le brûlant dossier iranien sur lequel l’agence a enquêté des années avant de passer maître d’oeuvre d’inspections inédites, en tentant de contenir les pressions.

Annoncée lundi, la mort de ce diplomate japonais de 72 ans a suscité de nombreux hommages venant aussi bien de Moscou et de Téhéran que de Washington et Paris, témoignant du respect qu’avait gagné cet expert en désarmement dans ses fonctions de gendarme nucléaire mondial.

A ce poste exposé aux tensions entre puissances rivales, Yukiya Amano, souvent souriant derrière ses lunettes rondes, s’était vu initialement reprocher un manque de charisme et une étiquette de candidat de l’Occident lorsqu’il l’avait emporté en 2009 face à un concurrent sud-africain, considéré comme le favori des pays en développement. Mais il a « défendu le droit international » et l’indépendance de l’agence en montrant « sa capacité à résister aux pressions », souligne le chercheur Thierry Coville de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (Iris) à Paris.

Le directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a ainsi régulièrement défendu l’accord nucléaire de 2015 avec l’Iran violemment attaqué par le président américain Donald Trump.

Une gouvernance à contre-pied de la précédente

Ses premiers pas ont été scrutés à la loupe après le règne jugé très politique de son prédécesseur égyptien Mohamed El Baradei, Prix Nobel de la Paix 2005 conjointement avec l’agence pour leurs efforts en faveur de la non-prolifération nucléaire. Yukiya Amano a pris le contre-pied de ce style de gouvernance, évitant « de se précipiter dans la lumière des médias et de prendre des initiatives sans les avoir considérablement discutées et préparées en amont », observe Mark Hibbs, chercheur associé au programme de politique nucléaire du centre Carnegie.

Réticent à communiquer au-delà du strict minimum, il a préféré laisser en première ligne les ambassadeurs représentant les Etats-membres, selon Mark Hibbs. Plusieurs rapports de l’AIEA publiés au fil des trois mandats du Japonais ont fait date.

Le nucléaire iranien comme toile de fond

Ainsi du document de 2011, qui au terme de huit ans d’enquête sur le programme nucléaire iranien avait livré pour la première fois une série d’éléments selon lesquels Téhéran a travaillé à la mise au point de l’arme atomique. L’Iran a toujours nié de telles visées militaires. Après l’élection d’Hassan Rohani à la présidence de la République iranienne en juin 2013, Téhéran s’est montré plus disposé à trouver un compromis sur le nucléaire, alors que les sanctions prises par les pays occidentaux étranglaient son économie.

Au terme de négociations marathon, l’accord conclu le 14 juillet 2015 à Vienne entre les grandes puissances (Etats-Unis, Russie, France, Royaume-Uni, Chine et Allemagne) et l’Iran, a placé l’AIEA devant « un défi d’un niveau qu’elle n’avait peut-être pas anticipé », estime Mark Hibbs.

L’accord bride le programme nucléaire iranien et le soumet à des inspections renforcées de l’AIEA, de façon à ce que Téhéran ne puisse pas se doter de la bombe atomique. Même si les Etats-Unis de Donald Trump sont sortis de cet accord en 2018 et si l’Iran a répliqué en commençant, début juillet, à s’affranchir d’un certain nombre de ses obligations, l’AIEA poursuit son travail de vérification des installations nucléaires iraniennes.

Ses contrôles sont régulièrement l’objet de passes d’arme avec les gouvernements critiques à l’égard de Téhéran. Ainsi le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu avait accusé l’AIEA « d’inaction » après qu’Israël eut partagé avec elle des informations supposés compromettants pour l’Iran.

Outre les pressions politiques, le dossier iranien mobilise aussi une part considérable des ressources de l’agence au moment où l’ONU est confrontée à d’importantes difficultés budgétaires.

Si l’Iran a été au cœur des mandats de Yukiya Amano, l’impasse du dossier nord-coréen lui a certainement laissé un goût plus amer. L’AIEA qui n’est plus présente dans le pays depuis l’expulsion de ses inspecteurs en avril 2009, craint que Pyongyang poursuive ses activités nucléaires malgré les intentions affichées par le dirigeant Kim Jong-un et le président Trump.

Né le 9 mai 1947, soit deux ans après les bombardements nucléaires par l’aviation américaine d’Hiroshima et Nagasaki, Yukiya Amano était un apôtre du « nucléaire pacifique », a rappelé le gouvernement japonais dans un hommage lundi. Son engagement pour le renforcement de la sécurité nucléaire depuis la catastrophe de Fukushima en 2011 a également été largement reconnu.

LQ/AFP