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Virus : à Bergame, les camions militaires hantent toujours les esprits


"Au début, les camions venaient la nuit, personne ne devait savoir que les cercueils partaient ailleurs", se souvient-on à Bergame un an après (photo : AFP).

Les images choc du macabre cortège des camions militaires transportant des cercueils en pleine nuit de Bergame vers d’autres communes du nord de l’Italie ont fait le tour du monde le 18 mars 2020. Un an plus tard, cette cité martyre du coronavirus continue à panser ses plaies.

Au plus fort de la pandémie, le père Marco Bergamelli bénissait des cercueils toutes les dix minutes. « C’était plein de cercueils ici, il y en avait jusqu’à 132 alignés jusqu’au pied de l’autel », se souvient-il, en ouvrant grand les portes de l’église du cimetière Monumental.

« Au début, les camions venaient la nuit, personne ne devait savoir que les cercueils partaient ailleurs ». Des poids lourds aux bâches de camouflage enlevaient jusqu’à 70 cercueils par jour de l’église, réquisitionnée car les chambres mortuaires étaient saturées.

Au début de la pandémie, des cercueils bénis toutes les 10 minutes (photo : AFP).

Et le crématorium du cimetière n’arrivait plus à suivre, face à l’hécatombe provoquée par le virus. Les cercueils étaient convoyés à Bologne, Modène ou Ferrare pour y être incinérés.

Venu à Bergame pour rendre hommage aux 103 000 victimes de la pandémie en Italie, le Premier ministre Mario Draghi a déposé jeudi une couronne de fleurs à l’entrée de l’église du cimetière, avant d’observer une minute de silence.

« Cet endroit est le symbole de la douleur d’une nation entière », a déclaré M. Draghi en assistant à l’inauguration d’un « Bois de la mémoire ».

Tout le monde ou presque à Bergame a perdu un membre de sa famille, un ami, un collègue, un voisin.

Au cimetière, de somptueux mausolées de marbre jouxtent de petites sépultures creusées à la hâte, pour la plupart sans pierre tombale, portant des écriteaux avec les noms et photos des défunts: c’est le « Campo Covid » B1, réservé aux victimes de la pandémie.

Au seul mois de mars, 670 personnes sont mortes à Bergame, ville de 120.000 habitants, et près de 6.000 dans la province du même nom, connue comme « le Wuhan d’Italie », soit 5 à 6 fois plus que la normale, selon l’Institut national des statistiques.

« Les gens voyaient leur proche partir en ambulance avec de la fièvre, et après ils le retrouvaient réduit à l’état de cendres dans une urne, sans avoir pu lui dire adieu », déplore, ému, le père Bergamelli, 66 ans.

‘Comme en temps de guerre’

« C’était comme en temps de guerre », dit ce frère capucin au visage émacié qui a enchaîné les enterrements mais ne se considère pas comme un héros. Pour lui, « les héros, ce sont les médecins et infirmiers ».

A l’hôpital de Seriate, près de Bergame, l’unité de soins intensifs affiche à nouveau complet: ses huit lits sont tous occupés par des malades du Covid-19, même si l’afflux n’est pas comparable au plus fort de la pandémie il y a un an.

Les bips continus des moniteurs cardiaques et le ronronnement des ventilateurs artificiels résonnent dans la salle.

« Le Covid est plus agressif maintenant, avec beaucoup de cas de variant anglais. Les patients sont plus jeunes qu’avant », s’inquiète Roberto Keim, 59 ans, directeur de l’unité.

Nombreux sont ceux qui dénoncent la lenteur des autorités à reconnaître la gravité de la crise et à prendre des mesures de restriction, comme l’interdiction de rassemblements.

« Début mars, nous avons vu des gens assister aux funérailles de victimes du Covid et décéder quelques semaines plus tard à leur tour », raconte Roberta Caprini, gérante des Pompes funèbres Generali.

En première ligne

La jeune femme brune de 38 ans s’est retrouvée en première ligne de l’entreprise familiale, son père et son oncle ayant été contaminés.

« Normalement, nous organisons 1.400 enterrements par an, mais en mars 2020 nous en avons fait 1.000, soit presque le travail d’un an en un mois ».

Pour permettre aux proches confinés d’adresser un dernier salut aux défunts, elle faisait passer le corbillard sous leurs balcons et prenait des photos des corps.

Faire le deuil aura été une tâche impossible pour de nombreux Bergamasques.

« Nous avons passé un mois sans savoir où se trouvait le corps de mon père, mort du Covid le 11 mars à l’âge de 85 ans dans une maison de repos », confie Luca Fusco, président de l’association « Noi denunceremo » (Nous dénoncerons).

Trois semaines plus tard, son fils Stefano crée ce groupe de défense des victimes du Covid sur Facebook, le lendemain ils sont 4.000, et désormais 70.000.

Puis, 250 mains courantes ont été déposées au bureau du procureur de Bergame pour « rendre justice à tous ceux qui sont décédés du Covid ». Une enquête a été ouverte.

Après l’apparition des premiers cas de coronavirus le 23 février 2020 dans les foyers d’Alzano et de Nembro dans la vallée Seriana qui jouxte Bergame, hautement industrialisée, les autorités ont tardé 15 jours avant de confiner la région lombarde, précipitant « la pandémie non seulement en Italie, mais dans toute l’Europe », assure M. Fusco.

« Personne ne voulait prendre une mesure impopulaire alors que la Lombardie représente 22% du Produit intérieur brut de l’Italie ».

Le huitième de finale aller de Ligue des Champions Atalanta-Valence, le 19 février à Milan, aura aussi joué un rôle accélérateur dans l’épidémie.

Pour cet expert-comptable de 59 ans, « les Bergamasques se sont sentis abandonnés. En réagissant plus tôt, les autorités auraient pu sauver des milliers de vies ».

AFP