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Une barrière à Brasilia, reflet d’un pays coupé en deux


La palissade, montée en hâte ces derniers jours par les autorités, vise à éviter les échauffourées entre les deux camps : pour ou contre la destitution de Dilma Rousseff. (photo AFP)

Longue d’un kilomètre, haute de deux mètres: reflet d’une société déchirée, une imposante barrière a été érigée face au Congrès des députés à Brasilia, pour séparer les pro et anti-destitution de la présidente Dilma Rousseff, attendus par centaines de milliers à l’occasion d’un vote crucial.

A quelques heures de ce scrutin décisif pour l’avenir du géant latino-américain, la palissade, montée en hâte ces derniers jours par les autorités, vise à éviter les échauffourées entre les deux camps.

« C’est ce que le gouvernement a toujours fait: monter les riches contre les pauvres, les noirs contre les blancs, les patrons contre les employés », critique Ilson Jose Redivo, grand cultivateur de soja de 60 ans, venu de l’Etat du Mato Grosso (centre-ouest) pour brandir une pancarte « Impeachment, maintenant ».

« Encore une fois, il divise la société », soupire-t-il, avant de se faire huer, avec le groupe d’agriculteurs qui l’accompagne, par des automobilistes partisans de Rousseff.

Des centaines de milliers de Brésiliens sont attendus face au Congrès au moment où les députés voteront – dimanche soir ou lundi matin – pour demander ou non au Sénat d’ouvrir formellement un procès en destitution de la dirigeante de gauche, accusée par l’opposition de maquillage des comptes publics.

Pour Jose Cesar Silva, qui défile avec des centaines de défenseurs de la présidente sur un boulevard proche, c’est la droite qu’il faut accuser de ce mur. « C’est un symbole de la division de notre pays, la vieille lutte des classes », estime ce professeur d’arts plastiques de 53 ans, accompagnant avec sa guitare acoustique un groupe de Brésiliens chantant « Il n’y aura pas de coup d’Etat! » sur un air de samba.

Toute la nuit de samedi à dimanche sur l’un des grands boulevards de Brasilia, des petits groupes ont campé, dans une ambiance bon enfant, opposants et partisans de Dilma Rousseff se répartissant sur chaque trottoir, écoutant de la musique ou préparant des barbecues.

Mais l’atmosphère pourrait se tendre dimanche, quand le camp anti-Dilma tentera de réunir 342 votes, sur les 513 députés, pour faire avancer sa destitution jusqu’au Sénat, appelé à se prononcer en mai.

Depuis des mois, les soutiens de la présidente répètent que les accusations de l’opposition – un maquillage des comptes pour camoufler l’ampleur des déficits et faciliter sa réélection – ne constituent pas un motif d’impeachment. Ils crient au « putsch » institutionnel.

Moins d’amis sur Facebook

En face, les partisans d’une destitution jugent responsables Dilma Rousseff et son prédécesseur, Luiz Inacio Lula da Silva, pour la violente crise économique secouant la pays et le méga-scandale de corruption autour du géant pétrolier Petrobras. Ce ping-pong d’arguments a eu raison de quelques amitiés.

« J’ai déjà perdu beaucoup d’amis à cause de mon opinion sur Dilma », raconte Carlos Conrado, éditeur de 30 ans portant le drapeau brésilien sur ses épaules, dans un campement pro-impeachment d’environ 200 tentes, monté près d’un parc d’attractions. Quinze personnes ont coupé les ponts avec lui sur Facebook pour cette raison. Certains de ses oncles ne lui parlent plus.

La même mésaventure est arrivé à Jose Carlos Lemos, professeur d’éducation physique présent sur un campement pro-Rousseff près du stade de football Mané Garrincha: il a déjà perdu dix amis sur le réseau social. « Ils n’étaient pas d’accord avec mes commentaires », confie-t-il, expliquant être venu pour « protester en faveur de la démocratie ».

Si les deux camps s’accordent sur une chose, c’est sur l’ampleur de la corruption rongeant l’ensemble de la classe politique brésilienne.

Chez les pro-impeachment, certains sont réticents à l’idée que le vice-président Michel Temer, ancien allié de Rousseff et soupçonné d’être impliqué dans des contrats illégaux d’éthanol, lui succède, comme cela est prévu en cas de destitution. Et ils tiquent aussi face au président du Congrès des députés, Eduardo Cunha, grand architecte de la procédure d’impeachment mais lui-même inculpé pour avoir perçu des millions de dollars en pots-de-vin dans le cadre du scandale Petrobras.

« Il faut un nettoyage complet » du système, plaide Zaqueu Oliveira Mota, employé de sécurité de 33 ans originaire de l’Etat de Sao Paulo, proposant une solution radicale: une intervention militaire, une option soutenue par une petite portion de la population, mais controversé dans ce pays soumis à une dictature de 1964 à 1985.

Le Quotidien / AFP