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Turquie : l’opposition touchée mais pas coulée après le référendum


Manifestations des défenseurs du "non" au référendum, le 18 avril dernier. (photo AFP)

La frêle opposition en Turquie peut distinguer une lueur d’espoir dans la recomposition du paysage politique après le référendum sur les pouvoirs du président Recep Tayyip Erdogan, même si l’homme fort du pays semble actuellement hors d’atteinte.

Le camp du non a en effet obtenu le score honorable de 48,6% lors de cette consultation populaire dimanche sur une réforme élargissant les prérogatives présidentielles, malgré une campagne largement inéquitable et une diabolisation constante des opposants de M. Erdogan.

Les deux principaux partis de l’opposition, le CHP (social-démocrate) et le HDP (prokurde), ont déposé un recours pour annuler le scrutin, soutenant que la modification à la dernière minute d’une règle électorale avait favorisé des fraudes, ce que nient les autorités.

Pour la plupart des analystes, la victoire étriquée de M. Erdogan, qui affichait sa confiance et évoquait un score de « 60% » pour le oui, représente tout sauf un triomphe pour le président et son parti, l’AKP (islamo-conservateur).

En particulier, le oui n’a pas fait l’unanimité chez les jeunes, notamment chez ceux qui votaient pour la première fois. En outre, Istanbul et Ankara, dirigées par des maires AKP, ont voté majoritairement non lors du scrutin.

La carte électorale présente une Turquie plus divisée que jamais : le non domine de la Thrace à la côte méditerranéenne et dans le sud-est à majorité kurde. Le oui est en tête dans le coeur de l’Anatolie et dans la plupart des régions de la mer Noire.

Par ailleurs, l’alliance entre l’AKP et le parti ultranationaliste MHP n’a pas aussi bien marché que prévu, une large partie de la base électorale de ce dernier ayant refusé de suivre la consigne de son vieux dirigeant, Devlet Bahçeli.

« Avertissement »

Pour l’éditorialiste proche du pouvoir Abdulkadir Selvi, ce résultat est un « avertissement précoce » à l’AKP avant les élections législatives et présidentielle de 2019, après lesquelles entreront en vigueur la plupart des mesures de la réforme.

Ce scrutin a révélé une érosion électorale, souligne Kemal Kirisci, du centre d’analyses Brookings Institution, remarquant que l’AKP et le MHP avaient perdu 10% de leurs voix entre les législatives de novembre 2015 et le référendum du 16 avril.

« Le paysage politique est en train de changer », souligne Ozgür Unlühisarcikli, directeur du bureau du German Marshall Fund à Ankara. « Il y a des signes inquiétants pour l’AKP, mais il ne faut pas non plus exagérer ».

Le spécialiste souligne que ceux qui ont voté non proviennent de différents courants politiques, des Kurdes de gauche à une partie des ultranationalistes, peu susceptibles d’opposer un front uni à M. Erdogan lors des prochaines élections.

Pour lui, la droite nationaliste pourrait être le terrain de bouleversements, plusieurs dissidents influents du MHP évoquant la formation d’un nouveau parti.

Kemal Kiliçdaroglu, le chef du CHP, semble pour le moment inamovible après avoir guidé le camp du non, même si certains de ses lieutenants voudraient contester la légitimité du référendum de manière plus énergique.

Quant au HDP, sa force de frappe est affaiblie depuis qu’une douzaine de ses députés et ses co-présidents ont été incarcérés à la fin de l’année dernière.

« Opposition revivifiée »

Des manifestations ont éclaté dans plusieurs quartiers d’Istanbul après le résultat du référendum. Même s’il ne réunissent que quelques milliers de personnes, de tels rassemblements sont rares depuis l’instauration de l’état d’urgence en juillet.

« L’opposition semble revivifiée par les résultats », constate Asli Aydintasbas, experte au Conseil européen des relations internationales, soulignant toutefois qu’il est « peu probable » que les manifestations « se poursuivent sur une durée significative ».

M. Erdogan a déclaré qu’il n’y avait aucune différence entre gagner 1 à 0 et 5 à 0, manière de signifier que le faible écart entre le oui et le non lui importait peu.

Mais cette victoire étriquée prive le président turc d’un mandat écrasant pour mettre en place son nouveau système, au moment où les défis économiques, sécuritaires et diplomatiques sont énormes.

« M. Erdogan doit être assez confiant de remporter la prochaine élection présidentielle », pense M. Unlühisarcikli. « Ce qui devrait l’inquiéter, aujourd’hui, c’est comment diriger une société avec un contrat social qui n’a été signé que par la moitié de la population ».

Le Quotidien / AFP