Les autorités turques ont désigné lundi le groupe Etat islamique (EI) comme suspect numéro 1 de l’attentat d’Ankara et maintenu les législatives anticipées pour le 1er novembre, malgré les fortes tensions qui traversent le pays.
Deux jours après l’attaque la plus meurtrière jamais commise sur le sol turc, le Premier ministre Ahmet Davutoglu a confirmé que l’enquête se concentrait sur la piste jihadiste. « Si l’on regarde la manière dont a été commise cette attaque, nous considérons les investigations sur Daech (l’acronyme arabe de l’EI) comme notre priorité », a-t-il déclaré sur la chaîne d’information NTV. « Nous avons le nom d’une personne qui nous oriente vers une organisation », a-t-il affirmé.
Samedi matin, deux kamikazes se sont fait exploser devant la gare centrale de la capitale turque, au milieu de milliers de militants venus de toute la Turquie à l’appel de plusieurs syndicats, d’ONG et partis de gauche favorables à la cause kurde pour participer à une manifestation contre la reprise du conflit kurde. Le dernier bilan, encore provisoire, publié par les autorités fait état de 97 morts et 507 blessés, dont 65 dans un état grave.
La plupart des grands dirigeants de la planète ont fermement condamné cette attaque et promis leur soutien à Ankara. La chancelière allemande Angela Merkel se rendra dimanche dans la capitale turque pour parler de « lutte commune contre le terrorisme », a annoncé lundi son porte-parole Steffen Seibert.
Tout en privilégiant la piste du groupe EI, M. Davutoglu n’a toutefois pas exclu l’hypothèse d’une attaque des rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ou du Parti/Front révolutionnaire de libération du peuple (DHKP-C) d’extrême gauche, qu’il a présentés comme des « suspects potentiels ». « Il est encore trop tôt pour être définitif », a-t-il insisté à la télévision.
Selon des indiscrétions publiées dans la presse, les enquêteurs sont toutefois persuadés que les engins qui ont explosé à Ankara sont du même type que celui utilisé lors de l’attentat de Suruç, près de la frontière syrienne, le 20 juillet dernier. Jamais revendiquée, cette opération, qui a tué 34 militants de la cause kurde, avait été attribuée par les autorités turques au groupe EI.
Dimanche, la police turque a interpellé dans plusieurs villes de Turquie 43 personnes soupçonnées de liens avec l’organisation jihadiste qui occupe depuis plus d’un an de larges portions des territoires syrien et irakien. L’attentat d’Ankara a relancé la colère contre le régime du président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan. Des milliers de personnes ont défilé dimanche en Turquie, notamment à Ankara, aux cris de « Erdogan assassin ».
Le principal parti prokurde du pays, le Parti démocratique des peuples (HDP), accuse l’homme fort du pays de ne pas avoir délibérément assuré la sécurité de la manifestation. « Nous avons perdu de nombreux amis. Beaucoup d’autres sont encore blessés », a déclaré un syndicaliste, Vassaf Turgut, 38 ans. « Mais il faut que le gouvernement sache que nous ne reculerons pas », a-t-il ajouté, « nous continuerons à nous battre ». Deux grandes centrales syndicales turques (Kesk et Disk) de gauche ont appelé lundi et mardi à une grève générale.
M. Davutoglu a démenti fermement lundi toute faillite des services de sécurité. « On ne peut pas parler d’une défaillance générale », a-t-il assuré, « cependant des erreurs individuelles sont possibles, on enquête ». Dans un climat très tendu, le chef du gouvernement a confirmé la tenue des élections législatives le 1er novembre. « Quelles que soient les circonstances, les élections auront lieu », a-t-il promis, « cette attaque ne va pas transformer la Turquie en Syrie ».
Depuis des semaines, M. Erdogan dénonce avec virulence le HDP, qu’il accuse de « complicité » avec les « terroristes » du PKK. L’opposition, elle, accuse M. Erdogan de mettre de l’huile sur le feu du conflit kurde, avec l’espoir d’attirer à lui l’électorat nationaliste.
Le 7 juin, le parti de l’homme fort de la Turquie a perdu la majorité absolue qu’il détenait depuis treize ans, notamment en raison du bon score réalisé par le HDP. Il espère inverser ces résultats le 1er novembre. La campagne électorale se déroule alors que de violents affrontements ont repris depuis la fin juillet entre les forces de sécurité turques et les rebelles du PKK, qui accusent le gouvernement turc de collaborer avec les jihadistes contre lui.
Cette escalade de la violence a fait voler en éclats les discussions de paix engagées par Ankara avec les rebelles pour tenter de mettre un terme au conflit kurde, qui a fait quelque 40 000 morts depuis 1984. Le PKK a toutefois annoncé samedi, quelques heures après l’attentat d’Ankara, la suspension de ses opérations avant les élections. Malgré cette trêve, l’armée turque a annoncé avoir bombardé, samedi et dimanche, des cibles du PKK et « neutralisé » 14 « terroristes ». Et deux gendarmes ont été tués lors d’un accrochage avec des rebelles dans la province d’Erzurum (nord-est).
AFP / S.A.