Le chef du parti islamo-conservateur Ennahdha, Rached Ghannouchi, principal opposant au président Kaïs Saïed en Tunisie, a été placé sous mandat de dépôt, a annoncé jeudi sa formation, en dénonçant un « emprisonnement injuste ».
Il avait été interpellé lundi soir sur la base de déclarations dans lesquelles il avait affirmé que la Tunisie serait menacée d’une « guerre civile » si les partis de gauche ou ceux issus de l’islam politique comme Ennahdha, y étaient éliminés.
Selon l’avocat Mokhtar Jemai qui intervenait sur une radio privée, un juge d’instruction a décidé d’émettre un mandat de dépôt pour incarcérer le chef islamiste de 81 ans à l’issue d’un interrogatoire de plus de neuf heures.
Le Front de salut national (FSN), coalition d’opposition dont est membre Ennahdha, a confirmé que le juge a invoqué notamment le motif de « complot contre la sécurité de l’État » pour écrouer Rached Ghannouchi. Le FSN a dénoncé « un effondrement des libertés dans le pays », soulignant que Rached Ghannouchi n’avait fait qu’émettre « une opinion dans un séminaire organisé par le FSN ». Pour le FSN, le pouvoir « a fini par criminaliser la liberté d’expression et d’activité politique pacifique, preuve de son échec à préparer un dossier judiciaire sérieux ».
Dans un communiqué, Ennahdha a rejeté toute intention de Rached Ghannouchi d’appeler à la guerre civile, disant « condamner fermement une décision injuste qui a pour but de couvrir l’échec total du pouvoir à améliorer les conditions économiques des citoyens ». Le parti d’opposition a décrit Rached Ghannouchi comme « un symbole national qui a passé le plus clair de sa vie à résister à la dictature à travers une lutte pacifique ».
«Escalade inquiétante»
Rached Ghannouchi est l’opposant le plus en vue à être arrêté depuis le coup de force du président Kaïs Saïed qui s’est emparé des pleins pouvoirs en juillet 2021. Selon les médias, cinq hauts responsables d’Ennahdha interpellés au même moment que lui ont été remis en liberté.
Les États-Unis ont dénoncé mercredi soir « une escalade inquiétante » en Tunisie, après l’emprisonnement d’une vingtaine d’opposants ainsi que de personnalités dont des hommes d’affaires et le directeur de la radio la plus écoutée du pays, Radio Mosaïque, depuis début février.
L’Union européenne avait exprimé sa grande « inquiétude » dès mardi après le placement en garde à vue de Rached Ghannouchi, rappelant l’importance du « principe fondamental du pluralisme politique ». La France avait pour sa part noté que cette interpellation « s’inscrit dans une vague d’arrestations préoccupantes », rappelant son « attachement à la liberté d’expression et au respect de l’état de droit ».
Face à une crise financière
Pour le ministère des Affaires étrangères, ces critiques « ne peuvent qu’affecter les efforts intenses du pays pour redresser une situation économique et financière sous grande tension du fait, en grande partie, de la mauvaise gouvernance et de l’amateurisme ayant caractérisé la décennie écoulée », pendant laquelle le parti de Rached Ghannouchi a été le faiseur de rois de presque toutes les coalitions gouvernementales.
Dans son communiqué, Ennahdha a critiqué « l’incapacité du pouvoir à faire face à une crise financière asphyxiante dans un contexte de hausse sans précédent des prix en cette période de ramadan ». Outre la crise politique déclenchée par le coup de force de Kaïs Saïed, les Tunisiens voient leurs conditions économiques se dégrader du fait d’une inflation galopante, supérieure à 10% sur un an.
Pour renflouer les caisses d’un État très endetté (à environ 80% du PIB), le gouvernement négocie depuis des mois un crédit de près de 2 milliards de dollars du Fonds monétaire international, susceptible de débloquer d’autres aides étrangères.
Début avril, le président Kaïs Saïed a dit rejeter les « diktats » du Fonds, qui a conditionné l’octroi de ce nouveau prêt à une série de réformes économiques, dont la restructuration des entreprises publiques et la levée de subventions étatiques sur certains produits de base.