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Trois juges français vont enquêter sur les activités de Lafarge en Syrie


Le cimentier est notamment visé par les chefs de "financement d'entreprise terroriste" et de "mise en danger de la vie d'autrui". (photo AFP)

Un an après les premières révélations, l’enquête en France sur le cimentier franco-suisse LafargeHolcim, mis en cause pour avoir indirectement financé des groupes armés en Syrie dont le groupe jihadiste Daech (EI), va être menée par trois juges.

A la suite de l’enquête préliminaire ouverte en octobre, la justice française a décidé le 9 juin de poursuivre ses investigations, désormais confiées à deux juges d’instruction du pôle financier et à un magistrat instructeur du pôle antiterroriste. Cette information judiciaire vise notamment les chefs de « financement d’entreprise terroriste » et de « mise en danger de la vie d’autrui », a précisé le parquet. L’enquête devra déterminer les liens qu’a pu entretenir le géant du ciment, notamment avec Daech, pour continuer à faire fonctionner en 2013 et 2014, malgré le conflit, la cimenterie de Jalabiya, un investissement phare pour le groupe.

« Le groupe coopérera bien entendu avec la justice s’il est sollicité », a indiqué LafargeHolcim dans un communiqué, précisant qu’il « n’a pas été contacté par le parquet » à ce stade.

« Pression » sur les employés

Le scandale avait été révélé par un article du quotidien français Le Monde de juin 2016 qui avait mis en lumière de « troubles arrangements » entre Lafarge Cement Syrie (LCS), branche syrienne du groupe, et l’organisation jihadiste alors que cette dernière gagnait du terrain et devenait incontournable dans la région. En septembre, le ministère français de l’Économie avait déposé plainte, déclenchant l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet de Paris. Plusieurs responsables et cadres du groupe ont depuis été auditionnés en France, selon une source proche du dossier. En novembre, l’association anticorruption Sherpa, le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits de l’homme (ECCHR) et onze anciens employés de la cimenterie avaient déposé plainte avec constitution de partie civile pour « financement du terrorisme », mais aussi pour « complicité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité », des chefs qui n’ont pas été retenus à ce stade par le parquet.

Alors que plusieurs entreprises françaises et européennes présentes en Syrie mettaient fin à leurs activités dans le pays entre 2011 et 2013, LCS « restait déterminée à maintenir sa production malgré l’intensification des affrontements », notent les associations dans leur plainte. Pour atteindre cet objectif, la filiale aurait fait « pression sur ses employés » (menaces de licenciement, de suspension de salaires s’ils ne se rendaient pas à l’usine malgré l’insécurité des routes) et « accepté de s’entendre avec des membres de l’EI » pour organiser la circulation des marchandises et des employés contre le paiement de taxes ou l’achat de matières premières, détaillent-elles. Elles estiment qu’à partir d’avril 2013 « le pétrole utilisé par LCS provenait de l’organisation jihadiste ».

Daech avait fini par prendre le contrôle du site en septembre 2014. Ce jour-là, d’après Le Monde, la direction n’a pas prévenu les employés de l’imminence d’un raid et les bus prévus pour les mettre à l’abri n’étaient pas sur place. Ils ont dû se sauver par leurs propres moyens.

Les jihadistes « indirectement » financés

Lafarge, qui a fusionné en 2015 avec le suisse Holcim, a admis avoir « indirectement » financé des groupes armés pour maintenir en activité sa cimenterie. Entre les « menaces pour la sécurité des collaborateurs » et les « perturbations dans les approvisionnements nécessaires pour faire fonctionner l’usine et distribuer ses produits », la filiale locale de Lafarge a tenté d’amadouer les diverses « factions armées » qui contrôlaient les zones autour du site, a reconnu en mars le groupe.

En avril, Eric Olsen, patron de LafargeHolcim, a annoncé qu’il allait quitter ses fonctions pour tenter de désamorcer le dossier syrien. Le conseil d’administration avait accepté sa démission, mais estimé qu’il n’était « ni responsable ni pouvant être considéré comme informé des actes répréhensibles identifiés » en Syrie. « Lafarge semble concentrer sa défense au niveau local en épargnant la maison-mère. Or, nous avons suffisamment d’éléments pour avoir acquis la certitude de son implication », a estimé Me Marie Dosé, avocate de Sherpa. Le président de l’association Sherpa, Me William Bourdon, a pour sa part indiqué qu’il devrait prochainement être entendu par les juges d’instruction.

Le Quotidien/AFP