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Thaïlande : pourquoi un régent de 96 ans pour remplacer le roi ?


Prem Tinsulanonda (ici en 2012) reste un des personnages les plus actifs de la scène politique thaïlandaise, malgré ses 96 ans. (photo AFP)

Après la mort du roi de Thaïlande jeudi, la régence est confiée à son plus proche conseiller, un ancien général de… 96 ans, éminence grise de la politique du royaume depuis des décennies. Qu’est-ce que cela signifie pour l’avenir du pays?

Qui est ce régent?

Prem Tinsulanonda reste un des personnages les plus actifs de la scène politique thaïlandaise, malgré son grand âge. Lors de ses rares apparitions publiques, il semble en grande forme, marchant sans canne.

Cet ancien général et chef de l’armée était depuis des années à la tête du Conseil privé du roi Bhumibol Adulyadej, institution très puissante. Il jouit d’une puissance « inégalée en Thaïlande » d’après Paul Handley, auteur de la biographie « The king never smiles », interdite en Thaïlande.

Diplômé de la Haute académie militaire du pays en 1941, il gravit rapidement les rangs de l’armée, jusqu’à en devenir le chef, de 1978 à 1980.

Il prend alors le pouvoir lors d’un coup d’Etat approuvé par le roi. Pendant sa période de Premier ministre, entre 1980 et 1988, la Thaïlande a vécu l’une des rares périodes de stabilité politique et économique, contrastant avec les années tumultueuses de coups et contre-coups précédentes, lui valant une certaine popularité.

Le fait qu’il ait travaillé si longtemps avec le roi défunt est aussi un facteur rassurant, confient de nombreux Thaïlandais. « Prem était proche du roi, j’en déduis que c’est quelqu’un de bien », estime ainsi Natthaphon Siriphanurak, étudiant de 21 ans interrogé par l’AFP à Bangkok.

« Prem a manipulé la politique depuis les coulisses, tirant les ficelles pendant plus d’une décennie au sein de l’armée et de l’administration depuis son poste de membre du Conseil privé de roi Bhumibol », souligne cependant Paul Handley, aujourd’hui journaliste à l’AFP.

Après le coup d’Etat qui a renversé le Premier ministre Thaksin Shinawatra en 2006, des manifestants ont clairement accusé Prem d’avoir fomenté le putsch.

Quels sont ses liens avec la monarchie?

Prem était clairement l' »éminence grise » du roi, explique Paul Chambers, spécialiste de l’armée thaïlandaise. « Il a réussi à faire de l’armée un rouage de la monarchie tout en permettant à l’armée d’être une institution puissante dans la vie politique thaïlandaise », souligne-t-il.

Thaksin – détesté par les élites royalistes, y compris par une grande partie de l’armée, pour ses politiques populistes à succès faisant concurrence au roi – était « devenu la menace numéro un » pour la monarchie.

« Prem a aidé à l’extraire » du jeu politique avec le coup d’Etat de 2006, explique Pavin Chachavalpongpun, expert politique, en exil depuis le coup d’Etat de 2014.

Pourquoi est-il le régent et pour combien de temps?

Son installation en tant que régent est automatique en vertu de la Constitution, qui prévoit qu’accède à ce poste le chef du Conseil privé du roi, institution très puissante qu’il dirige depuis des années, en cas de délai nécessaire au prince héritier Maha Vajiralongkorn.

Jeudi soir, quelques heures après l’annonce de la mort du roi, le chef de la junte Prayut Chan-o-Cha avait assuré que le prince héritier sollicitait un « délai » avant de monter sur le trône, ce qui avait automatiquement déclenché le processus de régence.

Le plus grand flou règne quant à la durée de la période de régence. Le chef de la junte, le général Prayut Cha-O-Cha, a laissé à penser samedi soir que cela durerait « jusqu’à la crémation » du roi, ce qui pourrait arriver dans un an.

Le prince n’a pas lui-même pris la parole depuis la mort de son père, pas plus que le régent.

Sa régence devrait durer le temps que soit défini un nouvel équilibre du pouvoir entre les militaires, la vieille garde du palais et le prince héritier: durant son règne de 70 ans, Bhumibol avait eu le temps de mettre en place des liens solides avec l’armée. Mais ces liens tissés par le roi défunt sont intimement liés à sa personnalité, pas à l’institution royale en elle-même, très faible à l’arrivée sur le trône de Bhumibol en 1946.

Tout dépendra donc de la rapidité de ces négociations en coulisses, et notamment de l’implication du prince héritier, qui vivait jusqu’ici la plupart du temps en Allemagne, sans d’occuper des affaires du royaume.

Le Quotidien / AFP