Avec l’enchaînement des défaites militaires du groupe État islamique (EI) dans son fief irako-syrien, les pays d’origine des volontaires qui avaient rejoint ses rangs doivent se préparer à gérer l’épineux problème de leur retour, estiment experts et officiels.
«Près de 700 jihadistes français ou résidant en France se trouvent actuellement dans les zones de combat en Irak et en Syrie», a déclaré le 1er septembre le Premier ministre Manuel Valls. «Leur retour représente une menace supplémentaire pour notre sécurité nationale (…) Il faut nous préparer à résister, le combat sera long». La Belgique, elle, estime à environ 500 le nombre de ses ressortissants partis se battre aux côtés de l’EI.
«C’est ce qu’on pourrait appeler la menace du retour», a précisé dans une interview au quotidien Le Monde le procureur de Paris François Molins. «On sera à un moment ou à un autre confronté au retour d’un grand nombre de combattants français et leurs familles». Pour ceux repérés pendant leur voyage vers les zones de combat en Syrie et en Irak ou lors de leur exfiltration, la plupart du temps via la Turquie, la France, comme la plupart des autres pays, a durci sa législation, avec des emprisonnements plus systématiques, des peines plus lourdes et des remises en liberté conditionnelles davantage surveillées.
Actuellement, en France près de mille individus «font ou ont fait l’objet d’enquêtes judiciaires pour terrorisme islamiste», selon François Molins, dont 280 mis en examen et 167 en détention. Mais l’assassinat fin juillet d’un prêtre dans son église par un jeune jihadiste inculpé, placé sous contrôle judiciaire et porteur d’un bracelet électronique a montré les limites de la surveillance face à des individus passés maîtres dans l’art de la «taqiya», la dissimulation, prônée et enseignée par les mouvements jihadistes.
«Ceux qu’on attrape, leur statut est clair, ils sont sous statut judiciaire» commente pour l’expert Yves Trotignon, ancien analyste anti-terroriste à la DGSE. «Mais se pose alors la question de leur détention, de leur comportement en prison, de la radicalisation carcérale, de l’application des peines: ce sont des types très dangereux, et si on les juge sur les faits documentés par la justice, ils prennent dans les trois, quatre ans. Que deviennent-ils après ?»
Tours et détours
Plus redoutable encore selon lui: le cas des jihadistes assez malins, motivés et entraînés pour être restés en permanence sous le radar des services de police et de renseignement. «Le vrai problème, ce sont les mecs qui rentrent et qu’on ne voit pas rentrer. Ou même qu’on n’a pas vus partir», dit-il. «Il n’y en aura pas tant que ça, mais ceux qui vont rentrer en étant toujours convaincus de la justesse de la cause, qui vont préparer des attentats, monter des réseaux, sont le vrai danger. On sait depuis plusieurs mois que l’EI se prépare à sa défaite militaire, il va redevenir un mouvement clandestin et urbain».
Ils seront d’autant plus dangereux, ajoute Yves Trotignon, «qu’ils vont prendre leur temps. Ils ne vont pas prendre un vol direct vers l’Europe occidentale. Ils vont faire des détours, avec des pauses, qui peuvent durer plusieurs mois, dans des pays où ils changeront d’identité, ça s’est déjà vu. Ce seront des sas dans lesquels ils disparaîtront pour réapparaître plus tard». Face à ce problème des retours, la Turquie, par laquelle ont transité depuis plusieurs années la grande majorité des volontaires étrangers de l’EI, joue un rôle crucial. Son armée vient de conquérir les quelques kilomètres de sa frontière avec la Syrie par laquelle l’EI pouvait encore faire passer hommes et matériel.
«La frontière est maintenant très hermétique» assure à la presse une source diplomatique, qui demande à ne pas être identifiée. «Les Turcs ont fait d’énormes travaux, creusé des fossés, érigé des murs. Désormais si vous tentez d’entrer ou de sortir de Turquie illégalement, vous vous faites tirer dessus». La liste d’interdiction d’entrée sur le territoire turc comprend désormais plus de 50 000 noms et environ 150 ressortissants français ont été interpellés dans ce pays et envoyés, menottes aux poignets, vers la France, ajoute la même source.
Le Quotidien/afp