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Syrie : qui gouvernera Raqqa une fois les jihadistes chassés ?


La ville attise les convoitises d'autres belligérants comme la Turquie voisine et le régime syrien de Bachar al-Assad. (photo AFP)

Une éviction des jihadistes de Daech (EI) de Raqqa par une force largement dominée par les Kurdes soulèvera le problème épineux du contrôle de cette ville syrienne habitée aujourd’hui à 99% d’Arabes sunnites.

Fer de lance de la lutte anti-EI en Syrie, les Forces démocratiques syriennes (FDS), une alliance arabo-kurde soutenue par Washington, ont donné l’assaut pour s’emparer de cette « capitale » de facto du groupe jihadiste. Mais la ville attise les convoitises d’autres belligérants comme la Turquie voisine et le régime syrien de Bachar al-Assad.

Qui sont les habitants de Raqqa ?

Située dans le nord du pays en guerre, Raqqa, chef-lieu de la province du même nom, comptait avant la guerre quelque 300 000 habitants, en majorité des Arabes sunnites. 20% de la population était kurde, selon le géographe français et spécialiste de la Syrie, Fabrice Balanche. Mais en 2013, deux ans après le début de la révolte contre le régime en mars 2011, la branche syrienne d’Al-Qaïda prend le contrôle de la ville. Un an plus tard, Daech s’en empare, poussant la majorité des Kurdes à la fuite. Au début de la révolte, les Kurdes étaient soupçonnés de velléités autonomistes, voire de collusion avec le régime qui à cette époque, et à la suite d’un accord tacite, se retirait de leurs régions. « La minorité kurde de Raqqa était suspectée d’être une cinquième colonne », précise Fabrice Balanche. Avec le départ des Kurdes, mais aussi de milliers de chrétiens arméniens et syriaques (moins de 1% des habitants), « la population est aujourd’hui arabe sunnite à 99% ».

Qui va gouverner ?

En avril, quelques semaines avant leur entrée le 6 juin dans Raqqa, les FDS ont annoncé la création d’un « conseil civil » à qui elles confieraient la gestion de la ville, une fois l’EI chassé. Constitué de personnes originaires de la province, dont des chef tribaux et des dignitaires, « ce conseil s’occupera de la justice, la santé, l’éducation, les affaires des jeunes et des femmes, les services ainsi que de la sécurité », explique Omar Allouche, responsable de la communication au Conseil. « Nous n’avons pas discuté si Raqqa rejoindra le système fédéral. Il reviendra aux habitants de choisir ».

Mais ce conseil n’a pas rassuré les adversaires des Kurdes qui, à travers les milices des YPG -Unités de défense du peuple kurde-, dominent les FDS depuis leur création en 2015. Ulcérée par le soutien américain aux FDS, la Turquie a jugé « extrêmement dangereux » la livraison d’armes américaines aux YPG considérées par Ankara comme un prolongement en Syrie des séparatistes kurdes turcs du PKK en lutte contre le pouvoir depuis 1984. De son côté, le régime syrien a adopté une position ambiguë. Il s’inquiète de l’expansion territoriale kurde mais juge « légitime » leur combat contre l’EI.

Vers une confrontation ?

D’après Fabrice Balanche, « les Kurdes espèrent un scénario similaire à Minbej », ex-fief de Daech au nord pris en août 2016 par les FDS. La ville avait été confiée à un « conseil civil ». Mais les adversaires des Kurdes affirment qu’elle est en pratique sous l’autorité des FDS. « A Minbej, il existe une minorité kurde sur laquelle s’appuie fortement le Parti de l’union démocratique (PYD, principal parti kurde syrien), ce n’est pas le cas à Raqqa ». Les YPG sont la branche militaire du PYD. D’après le géographe, « les tribus de Raqqa ne sont pas prêtes à accepter la domination kurde ». Fayçal al-Sibat, député syrien et membre de l’importante tribu arabe al-Welda, acquiesce. Les forces kurdes « n’ont pas le soutien populaire. Les tribus à Raqqa ne reconnaissent pas ce conseil civil et les membres de tribus participant au conseil ne représentent qu’eux-mêmes ».

Que va faire le régime ?

Depuis le début en novembre 2016 de l’offensive des FDS, le régime Assad a maintes fois affirmé son intention de reprendre la ville. Mais, sur le terrain, « l’armée n’a pas envie de perdre des hommes pour reprendre Raqqa alors que les FDS peuvent s’en charger », commente Fabrice Balanche. L’armée se trouve actuellement près de Maskané, à une centaine de kilomètres à l’ouest de Raqqa. « Elle se positionne à proximité, en attendant les inévitables problèmes entre Kurdes et Arabes pour se placer en stabilisatrice », explique l’analyste français. Pour le régime, « il est préférable d’attendre d’entrer dans la ville par un accord ». Le porte-parole des FDS, Talal Sello, n’a pas exclu une participation de l’armée dans la bataille. « Cela dépend des ententes » entre la Russie, alliée du régime, et les États-Unis, hostiles à Bachar al-Assad.

Le Quotidien/AFP