Les forces du régime de Bachar al-Assad et des combattants alliés ont repris mardi aux jihadistes et rebelles le dernier tronçon d’une autoroute clé dans le nord-ouest de la Syrie, région qui a aussi été le théâtre de récents accrochages meurtriers entre Damas et Ankara.
Selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), il s’agit de la première fois depuis 2012 que les forces loyalistes contrôlent l’intégralité de l’autoroute M5, stratégique car elle relie le sud du pays à la grande ville d’Alep, dans le nord, en passant par la capitale Damas. La reprise de cet axe survient après des semaines d’offensive des forces gouvernementales et de leur allié russe contre les jihadistes et rebelles dans cette région. Depuis le début de l’opération début décembre, 350 civils ont été tués, d’après l’OSDH. Quelque 700 000 personnes ont été déplacées, selon l’ONU. « Le régime a repris le secteur de Rachideen al-Rabea », dans la province d’Alep, ce « qui signifie qu’il contrôle l’intégralité de la M5 », a indiqué Rami Abdel Rahmane, qui dirige l’OSDH.
Les forces pro-gouvernementales avaient repris ces derniers jours la partie de l’autoroute se trouvant dans la province d’Idleb. Il leur restait quelques kilomètres dans le sud de la province voisine d’Alep pour rallier cette ville sous le contrôle du régime. Cette avancée permet au régime de sécuriser Alep, deuxième ville du pays, qui est encore la cible de tirs de roquettes sporadiques des insurgés. Le régime de Bachar al-Assad a perdu de larges pans de territoires après le début de la guerre en mars 2011, déclenchée par la répression de manifestations pro-démocratie et qui a fait plus de 380 000 morts.
Tensions avec la Turquie
Mais aidées par la Russie, intervenue militairement en 2015, et par l’Iran, les forces loyalistes ont peu à peu repris le terrain perdu et contrôlent désormais plus de 70% du territoire national. Restent dans leur collimateur: un peu plus de la moitié de la province d’Idleb et des secteurs attenants des régions d’Alep, Hama et Lattaquié, dominés par les jihadistes de Hayat Tahrir al-Cham (HTS, ex-branche syrienne d’Al-Qaïda). Mais l’avancée des forces du régime suscite la colère d’Ankara qui avait convenu en 2018 avec la Russie de créer une « zone démilitarisée » sous contrôle russo-turc dans cette région. La Turquie, qui y dispose de 12 postes d’observation, dont trois sont encerclés par les troupes syriennes, a envoyé des renforts ces derniers jours. Lundi soir, elle a annoncé avoir « neutralisé » plus de 100 soldats syriens, en réponse à la mort de cinq soldats turcs tués dans la journée. Une semaine plus tôt, des combats avaient fait une vingtaine de morts dans les deux camps.
Ankara redoute notamment que l’offensive de Damas ne déclenche une nouvelle vague migratoire vers la Turquie, où plus de 3,5 millions de Syriens ont trouvé refuge depuis 2011. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a posé un ultimatum à Damas, lui demandant d’éloigner ses troupes des postes d’observation militaires turcs d’ici fin février. Sur la question d’Idleb, Ankara est en contact avec Moscou, acteur incontournable en Syrie. Selon Fabrice Balanche, spécialiste du conflit, il existe « un deal entre la Russie et la Turquie pour la reprise par morceaux d’Idleb en échange de la cession à la Turquie de zones kurdes », dans le nord-est du pays. Selon cet accord, « l’armée syrienne a le droit de sécuriser l’autoroute Alep-Damas, mais pas celui de vouloir prendre la ville d’Idleb (…) pour l’instant », explique-t-il.
689 000 personnes déplacées
En attendant, l’offensive des troupes du régime a causé une « catastrophe humanitaire » dans le nord-ouest du pays, selon plusieurs ONG. Depuis début décembre, les violences ont déplacé 689 000 personnes, selon David Swanson, porte-parole du Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (Ocha). « Des villes entières ont été vidées tandis qu’un nombre croissant de civils fuient vers le nord », souvent vers la frontière turque, a-t-il dit. La Turquie ne les laissant pas entrer sur son sol, les déplacés sont contraints de camper où ils peuvent dans des conditions très difficiles, accentuées par le froid. La région d’Idleb a servi de refuge à des centaines de milliers de Syriens forcés de fuir d’autres régions reprises ces dernières années par le régime. « Vous ne devriez pas avoir une guerre dans ce qui est essentiellement un camp de déplacés géant », a déclaré à la chaîne américaine CNN Jan Egeland, secrétaire général du Conseil norvégien pour les réfugiés. Le conflit en Syrie a jeté sur la route de l’exil plus de la moitié de la population d’avant-guerre.
AFP/LQ