Le président turc Recep Tayyip Erdogan a haussé le ton mercredi en affirmant qu’Ankara frapperait le régime syrien « partout » en cas de nouvelle attaque contre ses forces, et adressé une rare critique à l’égard de la Russie, l’accusant de « massacres ».
Cette sévère mise en garde intervient alors que la situation est de plus en plus volatile dans le nord-ouest de la Syrie, où 14 soldats turcs ont été tués en une semaine par des bombardements des forces de Bachar al-Assad, soutenues par Moscou. La région fait théoriquement l’objet d’un accord de « désescalade » entre Ankara et Moscou. Mais ces derniers jours, la Turquie a considérablement renforcé sa présence militaire dans la province d’Idleb, où le régime et la Russie ont enregistré des gains face aux groupes rebelles et jihadistes ces dernières semaines, au prix d’une grave crise humanitaire.
Ankara voit la situation à Idleb comme une question de sécurité nationale en raison de sa proximité avec la frontière turque, redoutant que l’offensive du régime syrien ne provoque un nouvel afflux de réfugiés vers la Turquie, qui accueille déjà 3,7 millions de Syriens. « Je déclare que nous frapperons le régime partout » en cas de nouvelle attaque contre les postes d’observation turcs ou toute autre position d’Ankara à Idleb, a déclaré Recep Tayyip Erdogan lors d’un discours devant les députés de son parti réunis dans la capitale turque.
Volonté de respecter l’accord de 2018
Alors qu’il s’est efforcé depuis 2016 de développer des relations personnelles étroites avec le président russe Vladimir Poutine, Recep Tayyip Erdogan a adressé une rare critique à l’égard de Moscou, signe que la crise d’Idleb empoisonne leurs rapports. « Le régime et les forces russes qui les soutiennent, ainsi que les milices appuyées par l’Iran, attaquent sans arrêt les civils, commettent des massacres et versent le sang », a lancé le chef de l’État turc. Selon le Kremlin, Recep Tayyip Erdogan et Vladimir Poutine ont dit souhaiter « la mise en oeuvre complète » des accords de désescalade russo-turc en Syrie lors d’un entretien téléphonique. Mais loin de cette version policée, Recep Tayyip Erdogan a laissé éclater sa colère contre les violations répétées de ces accords, dénonçant les « promesses qui ne sont pas respectées ».
Un accord conclu entre Ankara et Moscou en 2018 dans la station balnéaire russe de Sotchi prévoyait la cessation des hostilités à Idleb, mais il a été violé de manière répétée jusqu’à son effondrement complet. Dernier bastion de l’opposition à Bachar al-Assad, la province d’Idleb est dominée par des groupes jihadistes. Moscou a plusieurs fois appelé Ankara à faire plus pour empêcher les attaques de certains de ces groupes contre les forces russes. Le président turc a par ailleurs répété un ultimatum déjà adressé la semaine dernière qui somme le régime syrien de se retirer de certaines positions à Idleb. « Nous sommes déterminés à repousser (le régime) derrière les limites de l’accord de Sotchi, c’est-à-dire de nos postes d’observation, d’ici fin février. Nous ferons tout ce qui est nécessaire, sur terre et dans les airs, sans hésiter ni tergiverser », a-t-il dit. « Nous n’attendrons pas que des réunions interminables produisent des résultats », a-t-il ajouté.
Une délégation turque en Russie
Selon la presse turque, Ankara a déployé plus de 1 000 véhicules dans la province d’Idleb en deux jours. Mercredi, un nouveau convoi de véhicules blindés turcs arriver dans la ville de Binnish, au nord-ouest de la ville d’Idleb. Recep Tayyip Erdogan a en outre affirmé que les avions et hélicoptères qui bombardent les civils à Idleb « ne pourront désormais plus mener leurs actions tranquillement comme avant », sans préciser les moyens qui seraient mis en oeuvre ou si les appareils russes seraient visés. Signe toutefois qu’Ankara souhaite maintenir le dialogue avec Moscou, le chef de la diplomatie turque a annoncé l’envoi dans les prochains jours d’une délégation en Russie pour essayer de trouver une solution à la crise d’Idleb. Sur le terrain, les affrontements ont gagné en intensité ces derniers jours à Idleb. Mardi, un hélicoptère de l’armée syrienne a été abattu par un tir de roquettes au sud-est de la ville d’Idleb, selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), qui attribue l’attaque aux forces turques. Ankara n’en a pas revendiqué la responsabilité.
Les forces de Damas ont néanmoins marqué un point important en reprenant le même jour l’autoroute clé M5. Le régime s’attelait mercredi à sécuriser les environs de cet axe stratégique, selon l’OSDH. Sur le plan humanitaire, près de 700 000 personnes ont fui l’offensive militaire lancée en décembre par le régime et son allié russe dans la région d’Idleb. Le conflit en Syrie, qui a fait plus de 380 000 morts et des millions de réfugiés. Alors que la crise d’Idleb tend les relations entre la Turquie et la Russie, les États-Unis ont apporté un soutien franc aux autorités turques. Le représentant spécial des États-Unis pour la Syrie, James Jeffrey, devait rencontrer mercredi plusieurs responsables turcs à Ankara. Lors de son arrivée mardi soir, il a assuré que Washington voulait soutenir la Turquie « autant qu’il est possible ».
AFP/LQ