L’ouragan Jose a épargné l’île de Saint-Martin, l’occasion pour les habitants de souffler, pour la première fois depuis d’interminables jours.
Dans les coursives de la cité scolaire Robert Weinum, les verres en plastiques s’entrechoquent, remplis de gin. Un toast! « Je suis soulagé, limite heureux », lâche Donald Tchuisseu, un godet à la main. Lorsqu’il s’est rendu compte que les Cassandre s’étaient trompées et que José passerait au large des côtes sans faire de nouveaux dégâts. Le trentenaire a foncé vers ce collège-lycée, où nombre d’habitants comptaient se confiner. Avec une arme redoutable: du courage en bouteille. « Ca fait du bien de boire un coup, rigoler, et de penser à autre chose », témoigne le trentenaire. « L’alternative, c’est rester seul chez moi, sans électricité et sans eau. Bref, la déprime », sourit-il.
Pendant que les adultes trinquent, les enfants s’amusent dans une des salles, jonchés de matelas posés au sol en urgence. « Tu veux dire qu’on s’est déplacés de la maison pour rien? », s’étonne Stelya, 10 ans, avec malice. « Je serais déjà en train de dormir, si y avait pas ce truc », songe la fillette, sous les reflets blonds de sa chevelure crépue.
Depuis samedi midi, la centaine d’habitants réfugiés dans l’immense bâtiment de deux étages craignait le pire. Elle n’a finalement vu s’abattre que quelques pluies tropicales. Une pécadille, après le passage dévastateur du monstre Irma et ses vents à 300km/h la même semaine.
« C’est un soulagement de fou! On est très heureux, très contents », ose Junior Joseph, 28 ans, en veillant sur sa fille de 6 mois, emmaillotée dans un pyjama entièrement rose. Enivrés par la bonne nouvelle, certains s’improvisent devins a posteriori. « Je m’en doutais, je t’avais dit qu’il ne viendrait pas », se vante Daniel Dellugat, en exhibant la photo d’une carte météo enregistrée sur son portable la veille dans une des rares zones de l’île où les réseaux de télécommunications fonctionnent.
« Baptême du feu »
Mais la plus soulagée de tous est certainement la proviseure de l’établissement, Marlène Borel. Petite et menue, l’Antillaise de 55 ans a été mise à rude épreuve ces derniers jours. Nommée début septembre à la tête de cet ensemble qui accueille des adolescents de la sixième jusqu’au BTS, elle a vu son école soudainement réquisitionnée lundi soir par la préfecture pour en faire un abri anticyclone. Branle-bas de combat, il a fallu vider les salles de classes, la salle des professeurs et les bureaux administratifs – le sien compris – pour accueillir les habitants en détresse.
Le pari semble réussi. De l’extérieur, le bâtiment, construit il y a bientôt trois ans, apparaît comme un de ceux qui ont le mieux résisté au passage d’Irma sur l’île. Ses hauts murs gris et orange ont à peine subi une éraflure. De quoi narguer insolemment les forces de la nature, en apparence. Mais lorsqu’on pénètre dans ses entrailles, des faiblesses névralgiques se révèlent. Le déluge a eu raison de la toiture au-dessus de la bibliothèque et la pièce est complètement inondée, avec le plafond en lambeaux et rongé par l’humidité.
Une dizaine de personnes âgées grabataires résident également sur place, étendues par les pompiers dans des lits de camps. L’hôpital de Marigot, la ville-préfecture, est débordé et n’accepte plus que les « urgences vitales ».
« Pour un baptême du feu, enfin d’eau, c’en est un », philosophe la proviseure, soulagée que l’édifice ait validé son test anticyclonique avec Irma seulement, sans avoir à passer par les rattrapages avec José. Mais, pour elle comme pour les réfugiés, ce répit inattendu ne sera que de courte durée. Hors les murs, les paysages de désolation demeurent et les problèmes restent les mêmes: manque d’eau, manque de nourriture, pas d’électricité.
« Est-ce qu’on a encore une vie ici? », se demande Michelène Jean-Charles, 23 ans, une native de Saint-Martin à la grossesse avancée. La reconstruction à venir va devoir être rapide, pour en persuader les habitants.
Le Quotidien / AFP