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Se tatouer une petite abeille en pensant aux victimes de Manchester


Une fresque murale à Manchester, le 25 mai 2017, représentant des abeilles, symbole de la résilience de cette ville industrielle après l'attentat du 22 mai. (Photo : AFP)

Dans son salon de tatouage de Manchester, Paul n’arrive à rien, interrompu sans arrêt par le téléphone. Quatre jours après l’attentat meurtrier, des centaines veulent graver sur leur peau une petite abeille, symbole de résilience dans cette ville endeuillée.

Naomi Johnson, robe d’été, lèvres rose bonbon et lunettes de soleil relevées sur le front, a eu de la chance. Elle est arrivée tôt vendredi chez Tattitude, avant le tourbillon, ils l’ont prise tout de suite. «J’avais envie de faire quelque chose qui résume comment on se sent tous», raconte cette neurologue de 32 ans, la cheville gauche posée sur un tabouret. Un artiste est penché dessus, concentré. Il écrit aussi les mots «Stay strong our kid», une expression locale pour dire «tiens bon mon ami».

«Manchester est une ville unique. L’abeille signifie qu’ici on travaille dur, qu’on est debout et solidaires, explique-t-elle en référence à la culture ouvrière de la cité. «Et en plus, l’argent revient aux familles». Un fonds d’aide, mis en place par la mairie avec notamment l’aide de la Croix-Rouge après l’attentat de lundi soir qui a tué 22 personnes dans une salle de concert, a déjà récolté 4 millions de livres.

Un tatoueur de la région, reconnaissant ne savoir «que tatouer», s’est mobilisé, proposant de faire payer 50 livres la petite abeille et de verser les sommes collectées à ce fonds. Une consoeur a monté une page Facebook et c’était parti. Jordon, 28 ans, qui dessine d’un geste sûr et rapide l’abeille de Naomi, fait des heures sup depuis plusieurs jours. «Et je vais venir bosser sur mes jours de repos. La demande est énorme», dit-il.

Des gens affolés, en pleurs

«Hier j’ai tatoué une quinzaine d’abeilles. Et là, il y a déjà six personnes qui attendent leur tour», dit le jeune homme, sans lever la tête de son ouvrage. Son patron, Paul, qui possède trois salons, confirme. «On a rappelé des clients qui avaient rendez-vous pour leur dire qu’on les prendrait plus tard. On se concentre sur les abeilles. Comme ça on peut prendre des gens qui se présentent… Pardon, je dois répondre là», dit-il. Encore le téléphone.

«Oui dimanche et lundi, ce sera ouvert. Sans rendez-vous. Des tatoueurs vont venir en renfort d’autres villes du coin, mais il faudra faire la queue oui…» Il raccroche. «Je vais acheter des boissons fraîches pour faire patienter les gens», dit-il, comme à lui-même. A Manchester, le soleil brille et les températures sont estivales. Bodybuildé, ce colosse de 41 ans en marcel noir, tatoué de partout, visage compris, sans compter les piercings, reconnaît avoir eu très peur après l’attentat. «Je sais que ce n’est pas ce qu’il faut faire, mais j’ai envoyé ma fille chez ma mère» à la campagne, confie-t-il.

«Elle a sept ans, d’habitude elle aime passer du temps dans le salon. Mais je n’avais pas envie qu’elle soit là», au milieu de conversations possiblement macabres et alors que la nervosité reste palpable dans les rues, quadrillées de nombreux policiers. Un centre commercial à quelques mètres du salon a été évacué mardi, au lendemain de l’attentat. Une fausse alerte. «La copine de Jordon a vu ça à la télé, elle l’a appelé et il a pris ses jambes à son cou», chambre le patron. L’artiste relève la tête et sourit. Pas fier.

Mais «fallait voir, dans la rue, les gens couraient affolés, certains étaient en pleurs, bouleversés…», raconte Paul, retrouvant son sérieux. Dans la salle d’attente, Stephanie Gilchrist, jeune fille blonde de 19 ans, est un peu tremblante. Elle y pensait depuis longtemps mais s’est enfin décidée. Son premier tatouage, une abeille bien sûr. Discret, sur l’intérieur du poignet. «Pour faire quelque chose».

Le Quotidien/AFP