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Sans sanctuaire ni figure charismatique, la « marque » EI survit par ses filiales


Le chef jihadiste aurait été tué dans le sud de la Syrie par des acteurs locaux. (illustration AFP)

Après la mort au Levant de son deuxième émir en moins d’un an, le groupe État islamique (EI) en est réduit à désigner un inconnu pour succéder à un autre, témoignant de sa résilience comme de sa fragilité infinie.

Mille questions demeurent sur la mort d’Abou Hassan al-Hachimi Qourachi, annoncée par la centrale jihadiste, puis confirmée mercredi par Washington, qui a évoqué une opération réalisée mi-octobre par des rebelles syriens. Mille autres se posaient déjà sur ses intentions, lorsqu’il présidait aux destinées de l’organisation, depuis mars dernier. Il n’aura donné aucune réponse, en neuf mois de silence et de clandestinité.

« On pourrait émettre l’hypothèse selon laquelle il est le chef de l’EI au bilan le plus faible depuis la création du groupe », explique Colin Clarke, le directeur de recherche du Soufan group, un institut privé de renseignement et de sécurité américain.

Un mois s’est écoulé entre sa mort et son officialisation. « L’EI se démenait probablement pour trouver un remplaçant », ajoute cet expert, décrivant un groupe « sous pression extrême d’adversaires multiples et qui a moins de marge de manœuvre que par le passé, y compris pour communiquer avec ses partisans ».

Aucun des chercheurs contactés n’a pu fournir d’informations sur son successeur, Abou Al-Hussein al-Husseini al-Qourachi. S’il y a changement d’émir, le patronyme al-Qourachi demeure : en se réclamant de la tribu du prophète Mahomet, il en tire une légitimité en tant que « calife autoproclamé » des musulmans.

Plus d’alliés 

« Le nom est utilisé pour l’image de marque du chef », relève Hans-Jakob Schindler, le directeur du centre de réflexion indépendant Counter-Extremism project (CEP). « Même si c’est un patronyme inventé pour désigner quelqu’un d’autre, cela suffit pour que le réseau fonctionne. »

Reste que le chef jihadiste aurait été tué dans le sud de la Syrie par des acteurs locaux. Terrible symbole alors que l’EI avait réussi à imposer un califat autoproclamé sur un territoire à cheval entre Irak et Syrie, de 2014 à 2019, avant de ne tomber qu’au prix d’une forte mobilisation occidentale sous l’égide de Washington.

« La Syrie n’est tout simplement plus un refuge pour l’EI », explique Hans-Jakob Schindler. Ce groupe « peut y maintenir une structure, mais ce n’est pas un lieu sûr pour la hiérarchie ». Ce que lui offrait le califat ou ce que l’Afghanistan apportait jadis aux cadres du groupe rival Al-Qaïda, n’est plus accessible au Levant. « Quand vous tuez tout le monde, vous n’avez plus d’alliés », ironise l’expert.

L’EI n’a donc plus ni sanctuaire, ni chef charismatique. La capacité de son fondateur, Abou Bakr al-Baghdadi, à recruter des combattants étrangers ne lui a pas survécu. Et les mandats de ses successeurs sont de plus en plus courts.

« La pression monte probablement au sein de l’EI pour trouver une dynamique, en particulier si l’organisation veut rester pertinente », argue Colin Clarke. De fait, les deux précédents émirs ont rendu l’âme sans avoir émis le moindre message audio ou vidéo.

Pouvoir de nuisance 

Toutefois, paradoxalement, l’organisation reste non seulement vivante mais encore active et meurtrière. L’État islamique au Korasan (EIK) exerce une pression importante sur le régime des talibans en Afghanistan. La « province » irakienne du groupe conserve un pouvoir de nuisance considérable. Et le groupe connaît une croissance spectaculaire en Afrique, du Sahel au Lac Tchad en passant par le Mozambique et la Somalie.

Les observateurs du jihad mondial soulignent depuis plusieurs années combien l’EI – comme Al-Qaïda – se décentralise en s’appuyant sur des dynamiques locales pour conquérir des territoires en crise.

La mort d’un énième émir, aussi silencieux qu’énigmatique, ne fait que le confirmer. « Cette vulnérabilité du commandement suprême de l’organisation accroît l’autonomie de ses filiales, notamment les plus actives en Afghanistan et dans le Sahel », tranche Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences-Po à Paris spécialiste de l’islam radical.

Mais qu’est-ce qu’un réseau si la centrale est fantomatique ? Et combien de temps les Arabes au Levant pourront-ils revendiquer sa direction ? « C’est un peu discriminatoire », note Hans-Jakob Schindler. « Nous verrons combien de fois encore les parties africaines du réseau l’accepteront ».

En 2021, l’hebdomadaire officiel de l’EI al-Naba a consacré 28 unes sur 52 à l’Afrique, selon les observations de Damien Ferré, le fondateur de la société Jihad Analytics, qui analyse le jihad mondial et cyber. Désormais, la majorité des provinces de l’EI, soit sept sur 13, sont sur ce continent.

La contestation de la primauté arabe sur le mouvement reste pour autant hypothétique à moyen terme. « Il faudrait que des Africains puissent se rendre sur la zone Irak-Syrie et s’imposer graduellement en montant dans la hiérarchie », relève Djallil Lounnas, chercheur à l’université marocaine Al Akhawayn. « En revanche, plus la centrale s’affaiblit, plus les filiales africaines peuvent monter en puissance ».