La Roumanie peut-elle basculer vers un souverainisme anti-occidental ? Le premier tour de la présidentielle, avant les législatives du week-end prochain, pose la question de la place de Bucarest dans l’Union européenne et l’OTAN de demain, sur fond de guerre en Ukraine.
Le surprenant succès au premier tour de la présidentielle de Calin Georgescu, opposé à l’aide à l’Ukraine et pourfendeur de l’Alliance atlantique, devrait peser sur les législatives de dimanche prochain et suscite des inquiétudes à l’ouest du continent.
Et le résultat est suivi de près par les Occidentaux.
« Le rôle crucial de la Roumanie à la frontière ukrainienne, dans la région de la mer Noire, et dans les Balkans (…) fait de la présidentielle roumaine un point focal (…) pour l’OTAN et les alliés de l’Union européenne », résumait la veille du scrutin George Scutaru, fondateur du think tank roumain New Strategy Center.
Sur le front Est
Riverain de la mer Noire, la Roumanie voit son rôle s’accroître au sein de l’OTAN depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, en février 2022.
« C’est un pays qui a une frontière avec l’Ukraine (NDLR : longue d’environ 600 km) et (une frontière maritime) avec la Russie », rappelle Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE).
L’OTAN y a monté une mission dite de réassurance, pour éviter que le conflit ne déborde sur le territoire de cet État membre. La France fournit l’essentiel des 1 200 soldats du bataillon avec des Belges, des Luxembourgeois et, depuis la semaine passée, des Espagnols.
Paris y déploie également un système de défense antiaérienne SAMP/T (ou Mamba) et des chars Leclerc. Les avions de chasse de l’OTAN effectuent également des missions de police du ciel.
L’axe Bucarest-Washington
Parallèlement, les États-Unis ont déployé des milliers d’hommes et implanté un de leurs deux sites européens d’interception de missiles balistiques.
« Il y a une soixantaine d’officiers roumains qui sont formés dans les universités américaines », ajoute Emmanuel Dupuy. « Cela impacte beaucoup le leadership militaire roumain dans sa quasi-symbiose avec les États-Unis ».
George Scutaru estime que le second tour de la présidentielle, le 8 décembre, devrait aboutir à « une confrontation entre l’option souverainiste et anti-occidentale, qui transformerait la Roumanie en allié incertain de l’OTAN et de l’UE (…), et l’option pro-démocratique et pro-occidentale ».
Et ce, même si la campagne électorale a peu évoqué des questions comme les achats d’armement, l’augmentation des effectifs de l’armée roumaine ou les leçons de la guerre.
Le dossier céréalier
Après l’invasion russe, l’Europe a créé des « corridors de solidarité » terrestres et fluviaux, notamment via le Danube, qui ont permis d’exporter 61 millions de tonnes de produits agricoles d’Ukraine entre mars 2022 et janvier 2024, selon l’UE.
Le réseau fluvial a permis aux bateaux ukrainiens de rejoindre le port roumain de Constanta, devenu pendant quelques mois l’axe céréalier de Kiev. Selon Georges Scutaru, 70 % des exportations céréalières ukrainiennes en 2023 sont passées par la Roumanie.
Mais cette route européenne, indispensable pour Kiev après la décision russe de fermeture du corridor en mer Noire en juillet 2023, est aujourd’hui secondaire.
« Les exportations ukrainiennes via le Danube sont passées de 2,5 millions de tonnes en août 2023 à 0,5 million de tonnes en août 2024 », a indiqué Sébastien Poncelet du cabinet Argus Media France.
« Les exportations ukrainiennes ont repris par la voie habituelle du Bosphore depuis les ports de la région d’Odessa et (…) l’Ukraine a fini d’exporter les surplus de stocks accumulés lors des premiers mois du conflit ».
Le populisme européen renforcé ?
Outre la surprise Georgescu, l’autre candidat d’extrême droite George Simion, chef du parti AUR (Alliance pour l’unité des Roumains), a rassemblé près de 14 % des voix.
Si Georgescu devait l’emporter à la présidentielle, il hériterait d’un rôle mineur sur le plan constitutionnel mais rejoindrait la vague populiste qui gagne l’UE, du Hongrois Viktor Orban au Slovaque Robert Fico, en passant par l’Italienne Giorgia Meloni.
« Il n’y aurait pas d’hiatus européen. Mais du côté de la rive orientale du Danube, un certain nombre de responsables politiques seraient beaucoup plus synchrones avec Donald Trump que ceux de l’Europe de l’Ouest », résume Emmanuel Dupuy.
Aujourd’hui, l’opinion roumaine, soumise à une forte inflation, aimerait ne « plus avoir à aider militairement l’Ukraine, pensant qu’il faut d’abord aider la Roumanie », explique Pascale Joannin, directrice générale de la Fondation Robert Schumann.
« Le seul finalement qui pour l’instant ne faillit pas dans son aide à l’Ukraine, et qui a une frontière avec l’Ukraine dans l’Union européenne, c’est la Pologne ».