À l’orée d’une dixième journée de manifestations mardi contre la réforme des retraites, gouvernement et syndicats mettent en garde contre un risque de « chaos » et c’est sur fond de climat délétère et violent, qu’Emmanuel Macron recevra lundi les poids lourds de la majorité.
Un court répit, après plusieurs nuits tendues. La contestation de la réforme des retraites s’est poursuivie dans plusieurs villes samedi, avec des cortèges rassemblant quelques centaines de personnes. Des « rassemblements de proximité » encouragés par l’intersyndicale avant une nouvelle grande journée de mobilisation mardi, avec notamment un cortège parisien qui défilera de la place de la République à Nation.
La veille, donc lundi, Emmanuel Macron recevra la Première ministre Elisabeth Borne et les cadres de sa majorité – chefs de partis, ministres, parlementaires – à l’Élysée, avec le climat social délétère en toile de fond.
Alors que les affrontements se sont déplacés, le temps du week-end, autour des bassines de Sainte-Soline (Deux-Sèvres), des dégradations de mobilier urbain et des jets de projectiles sur les forces de l’ordre ont été rapportés ce samedi à Rennes lors du cortège antiréforme. Mais rien de comparable avec les « scènes de chaos » dans la capitale bretonne, dont s’était émue sa maire Nathalie Appéré lors de la manifestation de jeudi.
Des débordements observés dans de nombreuses autres villes : commissariat attaqué à Lorient, porche de l’hôtel de ville incendié à Bordeaux, heurts et départs de feux innombrables à Paris.
Point d’orgue d’une semaine d’échauffourées quotidiennes, depuis le recours du gouvernement au 49.3 pour faire adopter sa réforme au Parlement, cette neuvième journée à l’initiative des syndicats a aussi marqué un rebond de la mobilisation, avec entre 1,09 million (Beauvau) et 3,5 millions (CGT) de participants. Succès éclipsé par les accusations de violences, qui visent également les forces de l’ordre : pouce arraché pour une manifestante à Rouen, cheminot « éborgné » à Paris selon SUD-Rail, syndicats « visés par le canon à eau » à Rennes…
Le Conseil de l’Europe s’est alarmé d’un « usage excessif de la force » et les critiques se concentrant sur la BRAV-M, unité à moto chargée du maintien de l’ordre dans la capitale et dont la dissolution n’est « pas à l’ordre du jour » selon le préfet de police Laurent Nuñez.
« Une demande de justice »
Face à ce durcissement généralisé, le pouvoir rejette la faute sur une partie de ses opposants. « Ceux qui aujourd’hui tirent au mortier et tentent d’incendier » des bâtiments publics, « ont une volonté de désordre », a affirmé dimanche le ministre du Travail, Olivier Dussopt, lors de l’émission politique de France Inter/France Télévisions et Le Monde.
« Ce sont des gens qui ne respectent rien, certainement pas la vie humaine », a renchéri la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, évoquant sur le plateau du Grand Jury RTL/Le Figaro/LCI les menaces « abominables » qu’elle et d’autres élues de la majorité ont reçues récemment. « Ceux qui protestent sont en colère, il nous faut les entendre », dit le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, dans le Journal du dimanche. Rien à voir avec « les factieux qui viennent pour semer le chaos dans le pays ».
Argument renvoyé par le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, qui rappelle dans un entretien à la revue Le Grand Continent que la réforme des retraites vise à générer « à peine 10 milliards d’euros d’économies » et juge « absurde de risquer de faire sombrer la France dans le chaos pour si peu ». Le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, a pour sa part accusé l’exécutif de « spéculer sur la violence », ajoutant sur France 3 qu’«Emmanuel Macron prend un malin plaisir à ce désordre et à ce chaos».
Le chef de l’État, qui a appelé vendredi à « la plus grande fermeté » face aux violences, a indiqué vouloir « attendre la décision du Conseil constitutionnel » sur la réforme des retraites – d’ici trois semaines – tout en se disant « à la disposition » des syndicats « pour avancer tout de suite » sur d’autres sujets comme les salaires et les conditions de travail. Une façon de répondre aux « colères » qui « dépassent largement la réforme des retraites », a expliqué samedi Elisabeth Borne, voyant dans le mouvement social en cours depuis deux mois « une demande de justice ».