La procureure a requis, vendredi, au moins huit ans de prison ferme à l’encontre de l’ex-prêtre Bernard Preynat, jugé trois décennies après les faits pour une affaire d’abus sexuels devenue symbole de l’omerta en France de l’Église sur la pédophilie.
«Ce dossier hors du commun, emblématique, mérite une réponse pénale ferme qui ne peut s’arrêter au bénéfice de l’âge», a estimé devant le tribunal de Lyon (centre-est) la procureure, Dominique Sauves. «Le masque est tombé sur l’homme que vous êtes, l’homme que vous avez été», a-t-elle lancé au prévenu de 74 ans en l’accusant d’avoir «brisé» les vies de ses victimes, des scouts âgés de 7 à 15 ans au moment des faits, et de s’être «servi du silence des parents et du silence de l’Église» pour multiplier ses abus entre 1971 et 1991. Le procès était très attendu depuis que l’affaire a éclaté fin 2015, quand des plaintes ont enfin été déposées, éclaboussant toute la hiérarchie catholique à travers le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon, condamné en mars 2019 pour ne pas avoir dénoncé les agissements de Preynat. «Dieu merci nous y sommes», a dit la magistrate au début de son réquisitoire durant lequel l’ex-prêtre, défroqué l’été dernier à l’issue de son jugement canonique, est resté impassible, figé sur sa chaise et regardant droit devant lui, comme durant toute l’audience.
Une demande de «pardon»
À la barre, cet homme à la carrure toujours imposante, porteur d’une barbe blanche, a bien demandé «pardon» aux neuf hommes venus témoigner de leurs souffrances – de nombreux autres n’ont pu porter plainte du fait de la prescription. Mais un pardon «mécanique», sans empathie manifeste, qui a d’autant moins convaincu les parties civiles que le prévenu, s’il reconnaît la plupart des abus qu’on lui reproche, a souvent cherché à les minimiser. «Il y a toujours un mot qui vient nous gêner», a résumé un avocat. «Il a écouté les souffrances des victimes mais il ne les a pas entendues», a renchéri la procureure. Cet abuseur en série dont le nombre de victimes potentielles donne le vertige – jusqu’à «quatre ou cinq enfants» par semaine durant les camps d’été, a-t-il admis – avait beaucoup de charisme et d’emprise sur son entourage qui l’adulait.
Au tribunal, ses victimes ont fait le récit, glaçant et poignant, des attouchements, baisers sur la bouche et masturbations qu’il leur imposait. «Je revis toutes les sensations, son odeur», a confié Anthony Gourd, qui a souffert d’amnésie traumatique et se souvient, peu à peu, depuis quatre ans, de ce qu’il a subi. «Il parle de caresses. Ma femme me caresse. Lui, il me touchait comme un sauvage», a dénoncé Stéphane Hoarau, qui éprouve des difficultés, aujourd’hui, à toucher ses propres enfants. «Pour moi, à l’époque je ne commettais pas d’agressions sexuelles mais des caresses, des câlins. Je me trompais. Ce qui me l’a fait comprendre, ce sont les accusations des victimes», a assuré le prévenu. Le procès a été l’occasion, pour lui, de pointer la responsabilité de l’Église. «On m’a dit : « tu es un malade » (…) On aurait dû m’aider… On m’a laissé devenir prêtre», a relaté Preynat, alors qu’il avait suivi une thérapie en hôpital psychiatrique dans les années soixante.
Premières agressions à 16 ans
À l’époque, cet aîné d’une fratrie de sept élevé dans la religion par un père autoritaire, qui jouait à la messe à 6-7 ans et voulait devenir curé, commet ses premières agressions. Dès l’âge de 16 ans, après en avoir subi lui-même dans son enfance, révélation faite au tribunal. La présidente a relevé que les gestes dont il dit avoir souffert sont identiques à ceux qu’on lui reproche et une experte mandatée par la défense y a vu un processus d’identification : «tous les agresseurs ont été victimes». Mais cela n’a pas convaincu les parties civiles. «Preynat, c’est un menteur», a accusé vendredi Me Yves Sauvayre, pour qui l’ancien curé jouait ici «son troisième rôle, celui du repentant».
En 1991, la parole de l’archevêque de l’époque, le cardinal Decourtray, sommé d’agir par les parents d’une victime, a mis fin à ses agissements, a assuré le prévenu. Aucune autre agression n’a été établie par la suite. Pour Me Jean Boudot, avocat d’une victime, c’est la preuve que «s’il avait voulu refréner ses pulsions, il aurait pu. Mais il ne voulait pas». La plaidoirie de la défense doit clore le procès dont François Devaux, une victime qui a co-fondé l’association La Parole Libérée, a salué «la vertu» pour la société, la justice et l’Église.
AFP/LQ