Un premier verdict, dans le procès intenté par la junte birmane contre Aung San Suu Kyi, a été reporté ce mardi au 6 décembre, dernier rebondissement d’une longue série de procédures judiciaires qui pourraient conduire l’ex-dirigeante en prison pendant des décennies.
Le jugement, dans le volet de l’affaire où elle est accusée d’incitation aux troubles publics, a été repoussé « au 6 décembre », a indiqué à l’AFP une source proche du dossier. La prix Nobel de la paix, âgée de 76 ans, est assignée à résidence depuis le coup d’État du 1er février qui a mis un terme brutal à la transition démocratique en cours depuis 2010.
Les généraux poursuivent depuis une répression sanglante avec près de 1 300 civils tués et plus de 7 000 en détention, selon une ONG locale, l’Association d’assistance aux prisonniers politiques (AAPP). Mardi, les forces de sécurités ont été déployées en nombre autour du tribunal spécialement mis en place dans la capitale Naypyidaw pour juger l’ex-dirigeante, a constaté un journaliste de l’AFP. La route menant au Parlement était bloquée par des troupes.
Dans ce volet de l’affaire, Aung San Suu Kyi risque trois ans de détention. « Ce report est étrange et certainement commandé par des motifs plus politiques que juridiques », a relevé l’analyste David Mathieson, spécialiste de la Birmanie, dénonçant « un procès spectacle grotesque ».
Un autre jugement à l’encontre de la prix Nobel, concernant cette fois une éventuelle violation des restrictions sur le coronavirus, sera également rendu le 6 décembre. Aung San Suu Kyi, jugée depuis juin, est inculpée pour une multitude d’infractions: importation illégale de talkies-walkies, sédition, corruption, fraude électorale…
Neutraliser Suu Kyi
De nombreux observateurs dénoncent un procès politique dans le but de neutraliser la gagnante des élections de 2015 et de 2020. En bonne santé d’après ses avocats, elle risque de longues années de prison si elle est reconnue coupable.
« Il est presque certain qu’au final Suu Kyi sera condamnée à une peine sévère », estime David Mathieson. « La question est de savoir à quoi ressemblera son incarcération (…) Sera-t-elle traitée comme une détenue lambda dans une cellule bondée ou avec des privilèges dans une villa VIP? ».
Les médias ne sont pas autorisés à assister à son procès, à huis clos. La junte a également interdit à son équipe juridique de parler à la presse et aux organisations internationales.
Lors de sa première comparution devant le tribunal, Aung San Suu Kyi avait revêtu ses habits de résistante, jurant que son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), allait perdurer et demandant à ses fidèles de rester unis.
Peines sévères pour ses proches
Ces dernières semaines, les tribunaux de la junte ont prononcé des peines très sévères contre des membres importants de la LND. Une ex-députée a été condamnée à 75 ans de prison pour corruption – une peine assortie de travaux forcés – et un proche collaborateur de Suu Kyi, âgé de 80 ans, à 20 ans de détention. Les généraux ont justifié leur putsch en assurant avoir découvert plus de 11 millions d’irrégularités lors des élections de novembre 2020, remportées massivement par la LND. Les observateurs internationaux ont qualifié à l’époque ce scrutin de « globalement libre et équitable ».
Le chef de la junte, Min Aung Hlaing, a menacé de dissoudre la formation et assuré que de nouvelles élections seraient organisées d’ici août 2023. Depuis le putsch, de nombreux membres de la LND ont été arrêtés, sont entrés en clandestinité ou ont fui le pays. Certains ont mis en place un organe de résistance, le gouvernement d’unité nationale. Des dizaines de milices citoyennes, baptisées « Forces de défense du peuple », se sont formées. Objectif: mener des opérations de guérilla contre la junte et ses alliés.
Rangoun, la capitale économique, est le théâtre de très fréquents attentats à la bombe et de fusillades. Mais les manifestations massives qui ont secoué le pays après le coup d’État ont cessé depuis des mois.
Mardi, seuls une vingtaine de protestataires ont défilé dans les rues de Rangoun, d’après des médias locaux. Ils ont mis le feu au portrait de Min Aung Hlaing.
AFP/LQ