Vies brisées, maisons en ruines et forêts calcinées. Après l’incendie meurtrier de juin dernier qui a dévasté la région de Pedrogao Grande, dans le centre du Portugal, ses habitants sont désormais confrontés à l’impossible tâche de « tout recommencer ». Le regard vide et le coeur lourd, Joaquim Godinho et son épouse Edite viennent de voir une pelleteuse raser la maison où ils ont vécu pendant près d’une trentaine d’années.
« Cette maison représentait toute une vie de travail, à lutter jour et nuit », soupire l’homme de 54 ans, qui l’avait construite lui-même. Quand l’incendie qui s’est déclaré le 17 juin, faisant 64 morts et plus de 250 blessés, a dévalé la colline qui surplombe le hameau de Vale da Nogueira, ce chauffeur de poids lourds au chômage a tenté en vain de sauver ses biens. « C’était impossible, j’ai failli y rester », se souvient-il en montrant des cicatrices de brûlures aux mains et au visage.
« Il faut tout recommencer, aller de l’avant… mais c’est très difficile. On a tout perdu », se lamente sa femme de 53 ans, qui s’occupait de la modeste ferme familiale. Jusqu’à 1.200 pompiers ont été mobilisés pendant cinq jours pour venir à bout du gigantesque brasier, qui a ravagé une surface d’environ 50.000 hectares, faisant des dégâts estimés à près de 200 millions d’euros. Au total, 460 maisons ont été endommagées à Pedrogao Grande et dans les communes voisines. Parmi elles, 84 résidences principales ont été totalement détruites, comme celle de la famille Godinho.
Révolte et déception
Malgré la vague de solidarité qui a poussé les Portugais à faire des dons avoisinant les 10 millions d’euros, les chantiers de reconstruction sont encore rares. Joaquim et Edite seront parmi les premiers à pouvoir emménager dans une maison neuve, que leur construira gratuitement un important groupe de BTP portugais. « Au moins nous aurons un toit sur nos têtes, mais ce sera plus petit qu’avant », se résigne Edite Godinho.
Le paysage de désolation qui entoure son village a peu changé depuis l’incendie, mais les fougères et les pousses d?eucalyptus ont déjà ajouté une touche de vert sur ces collines grisâtres, hérissées d’arbres brûlés. Le bourdonnement des tronçonneuses et le va-et-vient des camions chargés de troncs noircis témoigne de l’effort des producteurs de bois pour vendre leur marchandise avant qu’elle ne perde toute sa valeur. Sur la nationale 236, des bouquets de fleurs en plastique et des portions de goudron neuf rappellent que 47 personnes ont péri sur cette « route de la mort ».
Sapeur-forestier de 58 ans, Vitor Neves y a perdu sa compagne et sa cousine, piégées dans leur voiture alors qu’elles fuyaient leur village de Pobrais. Tout aussi « révolté » qu’au lendemain du drame, il accuse la protection civile d’avoir « mal mesuré le risque de propagation au début de l’incendie ». Maintenant occupé à tailler des arbres fruitiers roussis par les flammes dans le village de Vila Facaia, Vitor Neves se dit également « déçu » par la lenteur des aides publiques au redressement de la région.
Prise de conscience
Quant aux causes des incendies à répétition qui frappent le Portugal chaque été, le sapeur-forestier n’hésite pas à pointer du doigt « la fièvre de l’eucalyptus ». Matière première de l’industrie du papier, l’eucalyptus est devenu l’espèce forestière la plus répandue du pays, mais elle est aussi particulièrement inflammable. La tragédie de Pedrogao Grande a mis à nu l’inefficacité des politiques d’aménagement de la forêt, incitant le Parlement à adopter une réforme censée réduire la plantation d’eucalyptus.
Le Quotidien / AFP