Un « bon voisin », un écrivain amateur, un citoyen en colère : le septuagénaire accusé d’avoir voulu assassiner le Premier ministre slovaque Robert Fico présente de multiples visages, dont aucun ne cadre vraiment avec la radicalité de son geste.
Devant une barre d’immeubles de Levice, ville moyenne du centre de la Slovaquie, les passants jettent un regard rapide vers le 7e étage.
L’assaillant présumé, dont l’identité n’a pas été dévoilée publiquement par les autorités, habite depuis une quarantaine d’années dans l’un de ces appartements donnant sur une grande avenue, raconte un voisin.
Inculpé pour avoir froidement tiré mercredi sur le chef du gouvernement, toujours dans un état grave, à 80 km de là, « il a dû être pris de folie », avance Ludovit Mile à propos de cette attaque qui a abasourdi le pays.
Âgé de 71 ans, c’est « un voisin sympathique, serviable » qu’il connaît depuis 1983 et auquel il avait encore parlé lundi, dit-il.
« Nous avons tous nos propres opinions politiques, mais il n’a jamais professé les siennes avec force », assure Ludovit Mile tout en admettant qu’il était « contre certaines mesures prises par le gouvernement » de Robert Fico.
Mais avec le retraité, père de deux enfants adultes, il parlait « très peu de politique », insiste l’homme de 68 ans.
« Contre la violence »
Une tentative de meurtre « motivée par des considérations politiques », comme l’affirme la police ? « Non, non, ce n’est pas possible », insiste ce voisin, décrivant la vie paisible d’un amateur de promenades bucoliques avec son épouse.
Depuis quelques années, il ne travaillait plus comme agent de sécurité dans un centre commercial de Levice et souffrait de problèmes de santé, raconte-t-il.
Des médias slovaques ont exhumé depuis l’attaque une vidéo dans laquelle l’homme témoigne, sur une chaîne de télévision en 2016, de l’agression dont il a été victime de la part d’un client énervé, lors de son dernier emploi dans un supermarché.
Le reportage montre cet homme svelte, au bouc poivre et sel, couvert de contusions sur le visage et les bras.
Peu de temps après, il a voulu fonder un mouvement politique « contre la violence » qu’il a évoqué dans des vidéos YouTube, dont l’une est encore visible en ligne.
« Le monde est plein de violence et d’armes. Les gens semblent être devenus fous », déclarait-il sur ces images décryptées par le quotidien Postoj. « Notre objectif est d’unir les gens, de préserver la paix et de restaurer la démocratie. C’est très difficile car plus personne ne fait confiance à personne ».
« Les migrants affluent en Europe, la haine et l’extrémisme sont omniprésents. Mais le pire, c’est que les gouvernements européens n’ont pas d’alternative à ce chaos », disait-il également.
Ce mouvement possède une page Facebook, qui compte 191 followers. L’une des dernières publications, en date d’avril 2022, est la vidéo d’une manifestation contre la guerre en Ukraine organisée à Bratislava par des Russes se disant anti-Poutine.
Club littéraire
Le tireur présumé « ne parlait pas du conflit », assure pourtant son voisin Ludovit Mile.
Pas plus qu’il ne lui parlait beaucoup de son autre passion: la littérature et la poésie. Il a ainsi été un des co-fondateurs en 2005 d’un club littéraire de Levice baptisé « Duha » (arc-en-ciel), un nom choisi car « chaque artiste a son style mais tous ensemble peuvent créer plus de beauté », a expliqué une des membres, sous couvert d’anonymat.
Le club, qui se veut « strictement apolitique », a dénoncé comme une « immense tragédie » l’attentat commis contre le Premier ministre.
Auteur de plusieurs recueils de poèmes, le tireur présumé « n’a assisté à aucune réunion ni à aucun événement du club depuis 2019 et aucun de ses travaux n’a été publié » depuis cette date, a encore précisé Duha qui se dit « assailli » par les messages de haine depuis mercredi soir.
Visible sur les réseaux sociaux, une photo prise en 2016 avec des membres de l’association prorusse Slovenskí branci (Conscrits slovaques), proche de l’extrême droite, suscite également des interrogations.
Il en a fait l’éloge sur Facebook, les voyant comme des « patriotes » protégeant la population. L’organisation paramilitaire a cessé ses activités il y a deux ans.