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Pesticides en France, en Belgique, au Luxembourg : chacun fait à sa sauce


La pétition contre la «Loi Duplomb» a dépassé le 28 juillet le seuil des deux millions.  (photo AFP)

La pétition citoyenne lancée le 10 juillet dernier pour demander l’abrogation de la loi Duplomb est un des feuilletons phares de l’été des Français. Le sujet est pourtant d’une dimension européenne et nécessiterait un débat au-delà de nos frontières. Au cœur du problème : la réintroduction d’un pesticide controversé, interdit dans l’Hexagone depuis 2018 mais autorisé en Europe jusqu’en 2033.

Entre les Français et leur agriculture, c’est plus souvent l’amour vache que l’amour est dans le pré. Le dernier sujet de crispation en date est sur la table depuis des mois, mais il a atteint son point culminant le 8 juillet. Ce jour-là, l’Assemblée nationale vote massivement la loi Duplomb, censée «lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur». Préparée à la suite d’une énième crise soulevée par le secteur à l’automne 2023, cette loi est pourtant aujourd’hui dans le collimateur des partis écologistes et de gauche et d’une part de plus en plus grande de l’opinion publique.

C’est une des dispositions du texte, prévoyant la réintroduction – sur dérogation et de façon tout à fait encadrée – d’un pesticide interdit en France depuis 2018, qui fait le plus de vagues : l’acétamipride. Ce dernier appartient à la famille des néonicotinoïdes, réputés pour leur efficacité dans l’élimination des insectes ravageurs comme les pucerons. Le revers, ce sont les impacts potentiels sur les populations d’abeilles et, plus largement, sur toute la chaîne du vivant.

Une pétition qui grossit encore

Le 10 juillet, une étudiante de 23 ans lance une pétition citoyenne sur le site de l’Assemblée nationale. Elle condamne vertement le texte voté deux jours plus tôt et demande son abrogation. «La Loi Duplomb est une aberration scientifique, éthique, environnementale et sanitaire. Elle représente une attaque frontale contre la santé publique, la biodiversité, la cohérence des politiques climatiques, la sécurité alimentaire et le bon sens», est-il notamment écrit dans le texte. Les mots portent; la pétition se répand comme une traînée de poudre : elle recueille 500 000 signatures en quelques jours, un million en une semaine. Le 28 juillet, le seuil des deux millions est dépassé. C’est énorme, inédit, et visiblement pas fini.

Il ne se passe plus une journée sans que la pétition reçoive le soutien de voix qui comptent. Pas plus tard que mardi, le Conseil national de l’ordre des médecins se positionne à son tour contre la réintroduction, même à faibles doses, de l’acétamipride dans les cultures de betteraves sucrières, petits arbres fruitiers et noisetiers (les secteurs agricoles les plus consommateurs de la substance chimique). Dans un communiqué, le conseil affirme que «sur le plan médical, le doute n’est pas raisonnable lorsqu’il s’agit de substances susceptibles d’exposer la population à des risques majeurs» et que «ces alertes ne peuvent être ignorées».

De leur côté, les partisans de la loi Duplomb, FNSEA en tête, crient à la manipulation et à la désinformation. La cacophonie s’installe jusqu’au sommet de l’État. La ministre de la Transition écologique a admis que le retour de l’insecticide était «dommage» et venait ruiner «notre élan d’investissement dans les alternatives».

Une (nouvelle) incompréhension européenne

Le débat qui divise la France vient sans doute du fait que le sujet est avant tout européen. Comment expliquer que la France ait interdit l’acétamipride en 2018 alors que dans le même temps Bruxelles accordait une autorisation dans l’ensemble des pays européens jusqu’en 2033? Là est la question. Elle n’est malheureusement pas la seule et il y a eu bien des précédents.

L’exemple le plus retentissant, en tout cas aux yeux du territoire frontalier que nous sommes, est certainement celui du Luxembourg qui avait renoncé au glyphosate au 1er janvier 2021 mais qui a été contraint à une marche arrière deux ans plus tard après une décision de la justice grand-ducale… au nom de la non-conformité avec les règles de l’UE.

Néonicotinoïdes : autorisés en Belgique, mais un peu boudés en Wallonie

Malgré leur autorisation sur le territoire belge, les néonicotinoïdes sont très peu utilisés en Wallonie, où l’agriculture biologique progresse. Les maraîchers bios dénoncent leur impact sur la biodiversité et défendent un modèle affranchi des intrants chimiques, en décalage avec les tendances nationales.

En Belgique, les néonicotinoïdes ne sont pas interdits. Ces insecticides, très controversés pour leur nocivité sur les pollinisateurs et la faune environnante, bénéficient toujours d’autorisations de mise sur le marché. Pourtant, sur le terrain, leur utilisation reste très contrastée selon les régions. En Wallonie, les producteurs engagés dans l’agriculture biologique s’en détournent résolument. Pour la deuxième année consécutive, le nombre de fermes bios et la superficie bio ont légèrement baissé en Wallonie. Cependant, avec 12,3 % de la superficie agricole utile en bio, la Wallonie reste un bon élève en Europe.

Le paradoxe belge

«Les néonicotinoïdes sont dangereux. Ces pesticides détruisent l’équilibre. On n’a pas le droit d’en utiliser en bio, et c’est tant mieux.» Pour lui, l’autorisation nationale ne justifie en rien son usage local. «On cultive autrement, en respectant la terre.» Michel, maraîcher bio des Semis Croustillants à Tintigny, ne mâche pas ses mots, tout comme Stephany et Mark, également installés en Wallonie. Dans les faits, les néonicotinoïdes restent présents, surtout sur certaines cultures comme la betterave sucrière à 40 % ou la pomme de terre. Ces usages sont particulièrement concentrés en Flandre, où les exploitations intensives sont plus nombreuses.

Le paradoxe belge est flagrant : alors que des plans de réduction des pesticides (NAPAN, PWRP) sont en place depuis quinze ans, les ventes de substances les plus persistantes, comme les PFAS, continuent d’augmenter. En 2022, plus de 270 tonnes de ces molécules ont été vendues, soit une hausse de 22 % en un an. «La Belgique doit cesser d’envoyer des signaux contradictoires. Les agriculteurs sont pris dans un système de dépendance. Il est temps de leur redonner les moyens de s’émanciper des pesticides», explique Virginie Pissoort, responsable plaidoyer chez Nature & Progrès.

Anaïs Riffi (Le Républicain lorrain)

Pesticides au Luxembourg : des mesures qui peinent à convaincre

Depuis 2017, le Luxembourg tente de réduire l’utilisation des produits phytopharmaceutiques. Pour les associations, les décisions prises ne sont pas suffisantes.

L’acétamipride, insecticide dont la loi Duplomb permet la réintroduction, est aujourd’hui toujours utilisé au Luxembourg. Le 24 juillet, l’association de défense de l’environnement natur&ëmwelt indiquait que 50 à 60 kg de cet insecticide néfaste pour la santé étaient déversés tous les ans dans la nature. Pour autant, le Grand-Duché fait preuve d’une certaine énergie pour restreindre l’utilisation des pesticides.

Les deux tiers des PPP bannis des grandes surfaces

En 2017, il lançait le Plan d’action national de réduction des produits phytopharmaceutiques (PAN). Celui-ci vise notamment à une diminution de l’utilisation de 50 % des produits phytopharmaceutiques (PPP) jusqu’en 2030 ainsi qu’à une baisse de 30 % des «big movers», des substances particulièrement problématiques, jusqu’en 2025.

Le 1er janvier 2024, de nouvelles mesures sont entrées en vigueur. Celles-ci ont fait disparaître les deux tiers des produits phytopharmaceutiques des rayons des grandes surfaces. Elles ont également proscrit l’utilisation de tout type de PPP sur des surfaces imperméables reliées à un réseau de collecte des eaux pluviales.

Ces mesures ont aussi encadré la vente, l’achat et l’utilisation de PPP à usage professionnel. Il est, depuis 2024, nécessaire d’obtenir un «Sprëtzpass» (certificat de pulvérisation) délivré après une formation spécifique, pour pouvoir utiliser ces substances dans le cadre de son métier. Enfin, seuls les PPP comprenant des substances actives évaluées par la Commission européenne comme étant «à faible risque pour la santé humaine ou animale et l’environnement», ainsi que ceux utilisables dans la production biologique sont autorisés à la vente aux particuliers.

Malgré cela, les associations déplorent une mise en œuvre lacunaire du PAN et les analyses de l’Administration luxembourgeoise vétérinaire et alimentaire révèlent régulièrement la présence de résidus de pesticides dans les fruits et légumes issus de l’agriculture conventionnelle.

Le Quotidien