Les Européens doivent « tirer les leçons » de l’accueil à bras ouverts réservé aux déplacés ukrainiens pour ouvrir leurs portes aux autres réfugiés, au moment où les crises humanitaires se multiplient, a exhorté le haut-commissaire aux réfugiés de l’ONU, Filippo Grandi.
« N’oubliez pas les autres ! », a imploré le diplomate italien mercredi à Paris, où il a notamment été reçu à l’Élysée par Emmanuel Macron la veille pour évoquer les réponses humanitaires aux divers conflits qui génèrent des déplacements de populations.
Sur ce point, l’émissaire onusien affirme avoir eu l’oreille du président français, « conscient » que l’effort d’accueil envers les 100 000 Ukrainiens arrivés en France depuis mars ne devait pas « pénaliser la réponse humanitaire à d’autres crises ».
« Ce n’est pas pour dire qu’il faut donner moins aux Ukrainiens. Tout le monde comprend pourquoi ils fuient. Mais d’autres réfugiés aussi fuient les bombes. La terreur qu’ils éprouvent, la souffrance que la guerre inflige aux civils, les violations des droits de l’homme ont le même impact en Ukraine, en Syrie, au Yémen ou ailleurs », a estimé Filippo Grandi, réclamant un « effort supplémentaire pour les autres ».
Ces efforts se matérialisent aussi par « les ressources qu’on y met », poursuit le haut-commissaire : « Ces ressources ont été priorisées pour la crise ukrainienne. Maintenant, il faut les récupérer » sur d’autres théâtres de crise qui peinent à obtenir les financements nécessaires à une réponse humanitaire, dit-il.
Le changement climatique, facteur aggravant
La protection temporaire accordée par l’Union européenne aux personnes fuyant l’Ukraine, l’hospitalité des Européens, l’unanimité autour de leur arrivée, « il faut en tirer les leçons », estime-t-il. « On a démontré que c’est faisable, alors faisons-le. »
Et les occasions ne vont pas manquer, selon Filippo Grandi, 65 ans, fraîchement reconduit à la tête du HCR et qui énumère les conflits de plus en plus « complexes » et « multifactoriels » qui génèrent des millions de personnes déplacées, de l’Afghanistan à la Corne de l’Afrique, en passant par le Yémen.
« Au Sahel, par exemple, vous avez un mélange de facteurs qui poussent les gens à fuir. Les conflits, bien sûr, parfois avec une matrice terroriste. Les effets de l’urgence climatique, les inégalités… Ce sont des réfugiés qui fuient pour des causes multiples, mais il ne faut pas se laisser décourager par cette complexité, il faut l’aborder à travers un mélange d’humanitaire, de développement, d’action politique et de défense des droits de l’homme », énonce-t-il.
Le réchauffement climatique, dont les conséquences se font déjà sentir « dans ses manifestations les plus extrêmes, comme avec les inondations au Pakistan » qui ont provoqué des dizaines de millions de déplacés, vient « compliquer davantage » la situation lorsque ses effets se superposent à d’autres facteurs.
« Ce qui est inquiétant, c’est la connexion entre le changement climatique et les conflits. Ce mélange de causes va certainement augmenter la population déplacée », estime le HCR.
« Mythe selon lequel l’Europe est pleine »
Pour ces crises, comme pour celles qui secouent l’Amérique du Sud ou encore la minorité musulmane de Birmanie, les Rohingyas, « nous peinons à trouver les ressources pour terminer l’année et je suis inquiet pour l’année prochaine », prévient Filippo Grandi.
À ces enjeux financiers s’ajoute un « manque de solution politique » en Europe, regrette le responsable.
« Pour combien de temps peut-on donner des abris, des médicaments, des vivres (aux réfugiés) ? On doit penser au-delà du court terme, mais les crises s’éternisent et les solutions sont difficiles à trouver s’il n’y a pas un contexte politique favorable » à l’accueil de tous les réfugiés, poursuit-il, déplorant que la discussion européenne sur un mécanisme de solidarité soit « bloquée ».
Pourtant, reprend-il, la crise ukrainienne a permis de balayer « le mythe selon lequel l’Europe est pleine, qu’elle ne peut plus accueillir personne, ce qu’on a souvent entendu ces dernières années ».
« Le fait qu’il n’y ait pas eu de rejet » par les populations européennes « malgré l’énorme masse de personnes » arrivées après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, « doit nous faire réfléchir », invite Filippo Grandi.
Lorsque l’opinion publique occidentale, « dont on parle toujours comme une opinion hostile aux réfugiés, comprend le lien entre la guerre, la violence, l’exil et la fuite, c’est beaucoup plus facile pour cette opinion d’accepter que les réfugiés ont besoin de protection ».