Le développement dans le nord-est du Nigeria et le recul de l’insécurité dans ce bastion de l’insurrection du groupe jihadiste Boko Haram passent par l’éducation des jeunes filles, plaide la célèbre avocate Hauwa Ibrahim, de passage à Paris cette semaine à l’invitation de Reporters sans frontières (RSF).
Cette mère de deux enfants, âgée de 50 ans, qui vit entre Italie, Etats-Unis et Nigeria, avait été couronnée en 2005 du Prix Andreï Sakharov pour son combat contre la lapidation des femmes adultères au Nigeria et les amputations liées à l’application de la charia, la loi islamique.
Vous êtes originaire de l’Etat de Borno, où l’insurrection de Boko Haram a débuté en 2009. Comment la situation a-t-elle évolué pour les jeunes filles dans cette région ?
Hauwa Ibrahim : Moi, j’ai été éduquée par accident, parce que je me suis farouchement obstinée. Mais 30 ou 40 ans plus tard, je constate qu’il ne s’est pas passé grand chose ni du côté de la société ni du côté du gouvernement pour progresser sur ce terrain. Dans de nombreux villages, les filles sont encore mariées à un très jeune âge. Pourtant, pour avoir un développement durable, moins d’insécurité, nous devons absolument faire en sorte que toutes les filles aillent à l’école. Parce qu’elles sont les matrices, ce sont elles qui donneront naissance à la prochaine génération, qui l’éduqueront. Et de cette nouvelle génération pourraient sortir les meneurs de demain, des hommes qui pourraient soit rejoindre Boko Haram, soit devenir des leaders du pays. Il est donc indispensable que toutes les jeunes filles possèdent une éducation de base.
« Pour faire changer d’avis les hommes, il ne faut pas leur parler, il faut leur montrer »
Comment y parvenir en dépit du poids des traditions et de la religion dans cette région ?
Nous devons impliquer les chefs de clans, les pères, les frères, les hommes du village dans le projet « Nous voulons que nos filles aillent à l’école ». Il faut qu’il soient convaincus, enthousiastes. Et comment les convaincre ? En leur montrant des exemples de femmes qui ont réussi. Parfois, je reviens juste pour ça, pour montrer qu’il peut y avoir des centaines de femmes comme moi dans le nord du pays. Pour faire changer d’avis les hommes, il ne faut pas leur parler, il faut leur montrer.
Les autorités n’ont-elles pas aussi un rôle à jouer ?
Les programmes des écoles doivent être aménagés. Quand vous allez à l’école, vous devez pouvoir revenir tôt à la maison pour aider votre mère, aller chercher de l’eau. Nous devons nous entendre sur le fait que, si nous voulons vraiment que les filles puissent aller à l’école, alors les garçons doivent aussi participer à ces tâches quotidiennes. Mais pour progresser sur le terrain de l’éducation des filles et sur la place des femmes dans une société telle que la nôtre, c’est à nous, les mères, de prendre conscience de l’influence immense que nous pouvons exercer. Ce pouvoir d’influence est en nous. Il est délicat, il est subtil mais il est puissant, nous devons nous en saisir et l’exercer.
AFP