La dévastation est visible depuis les airs. A Bama, deuxième plus grande agglomération de l’État de Borno, dans le nord-est du Nigeria, les toits de tôle éventrés reposent désormais sur des décombres calcinés et des pans de murs noircis.
Un soldat nigérian découvre un cadavre en décomposition dans un égout dans la ville de Bama (nord du Nigéria), le 25 mars 2015. (Photo : AFP)
Au sol, dans les rues poussiéreuses qui ont vu mi-mars l’armée nigériane chasser Boko Haram de la ville, la vision, doublée de l’odeur, est bien pire: des dizaines de cadavres jonchent la chaussée, partout dans l’agglomération. Là, les soldats nigérians découvrent le corps en décomposition d’un homme dans un égout, en position foetale, au milieu d’ordures et d’excréments. Ils se couvrent le nez, écoeurés. Non loin, d’autres restes humains sont trouvés.
« Vous pouvez voir des cadavres », résume tristement un habitant, Abdul Maliki Yakuba. « Quand vous marchez dans la ville, vous pouvez voir des cadavres. Beaucoup de gens ont été tués ». Les militaires, pourtant habitués au combat, ont du mal à comprendre l’ampleur du massacre. « C’est inconcevable que des êtres humains puissent faire ça à d’autres êtres humains », lâche le lieutenant-colonel Abu Bakar Haruna. « Regardez sur le pont, il est tapissé de corps. Dans la ville, on voit des corps partout. Face à ça, on ne peut que dire Pourquoi ? Comment ? ».
> Une horrible bataille
Sous le califat autoproclamé de Boko Haram, qui avait pris la ville en septembre, « Bama, c’était l’enfer », racontait mi-mars Jummai Mumini, mère de quatre enfants ayant fui pour Maiduguri, la capitale de l’État, à quelque 70 km, alors que l’armée approchait. Selon de nombreux témoignages, les femmes qui avaient été forcées d’épouser des combattants islamistes ont été massacrées par leurs « maris » juste avant la bataille pour la ville, afin qu’elles restent « pures ».
De fait, des dizaines de cadavres de femmes sont visibles. Boko Haram n’a voulu leur laisser aucune chance d’éventuellement se remarier avec des hommes qui ne partageraient pas son idéologie radicale, expliquent les habitants. La plupart des quelque 7.500 personnes qui ont fui Bama sont aujourd’hui à Maiduguri, dans un camp de fortune situé dans les faubourgs. Mais tout le monde n’a pas fui Bama. Ceux qui sont restés sont installés sur la chaussée, éparpillant leurs possessions – tapis de prière, sacs, jerricans d’essence ou d’eau – sur la terre brûlée.
D’autres se sont abrités d’un soleil impitoyable à l’ombre d’une voiture calcinée, observant le défilé de blindés. Près d’un char garé dans le sable, des soldats au repos sont affalés sur des chaises en plastique. Ce fut « une horrible bataille », confie le lieutenant-colonel Abu Bakar Haruna. « Nous avons fait de notre mieux pour nous assurer que nous avions chassé les terroristes de Boko Haram de Bama ». « Et par la grâce de Dieu, (…) nous déjouerons leurs efforts pour revenir à Bama », poursuit l’officier.
> Menaces à venir
La sécurité reste la principale préoccupation des militaires et des habitants: Boko Haram a certes fui, mais personne ne sait où. Trois hommes, attrapés alors qu’ils tentaient de se faufiler dans la ville, sont menottés, les yeux bandés, et embarqués dans un pick-up, pendant que des soldats explorent avec précaution les ruines du palais de l’émir de Bama, que les islamistes utilisaient comme quartier général.
Tous ici craignent de nouvelles attaques, malgré la présence des militaires nigérians, soutenus par les armées du Tchad, du Cameroun et du Niger voisins, mobilisées aux frontières et intervenant (pour le Tchad et le Niger) en territoire nigérian, où elles ont enfin repris du terrain aux insurgés. Le porte-parole de l’armée nigériane, le général Chris Olukolade, loue « la vigilance des soldats » à Bama. « Tous les abords (de la ville) sont tenus. Il y a des patrouilles régulières, des patrouilles très agressives, pas seulement dans la ville mais aussi dans les faubourgs ».
« C’est une anticipation des menaces à venir. Nous ne leur laisserons aucune chance. Cette ville ne doit pas tomber à nouveau », assène-t-il. La sécurité est tout pour ceux qui, comme Abdul Maliki Yakuba, veulent retrouver leur vie d’avant et voir revenir les déplacés de Maiduguri. « Nous avons besoin de l’aide du gouvernement pour reconstruire la ville, afin que ces personnes reviennent », implore-t-il.
AFP