En réitérant son appel à « ne pas humilier la Russie », Emmanuel Macron a déclenché une nouvelle vague de critiques et d’incompréhension au moment où la France entend jouer les médiateurs dans le conflit ukrainien.
« Les appels à éviter d’humilier la Russie ne peuvent qu’humilier la France (…) Nous ferions tous mieux de nous concentrer sur la façon de remettre la Russie à sa place », a immédiatement répliqué le chef de la diplomatie ukrainienne Dmytro Kouleba. De quoi jeter un nouveau froid entre Paris et Kiev alors qu’Emmanuel Macron, dont le pays assure la présidence tournante de l’UE jusqu’au 1er juillet, est sous pression de l’Ukraine qui attend sa visite depuis le début de l’offensive russe le 24 février.
Les réactions sont aussi vives dans les pays d’Europe orientale qui se sentent le plus menacés par leur puissant voisin russe.
« Le président français cherche encore des voies pour épargner une humiliation au criminel de guerre Poutine. Que dirait-il à cette fillette en Ukraine ? », s’interroge le président de la Commission des Affaires étrangères du Parlement estonien, Marko Mihkelson, sur sa page Facebook, au-dessus d’une photo montrant une enfant amputée d’une jambe sur son lit d’hôpital.
Le chef de la diplomatie lettone, Edgars Rinkevics, a ironisé pour sa part sur le dialogue qu’Emmanuel Macron continue d’avoir avec le maître du Kremlin en citant, sur Twitter, une chanson d’amour russe de l’époque soviétique (« J’ai peut-être oublié ma fierté. Combien je veux entendre la voix.. »).
« Chemin de sortie »
« Poutine ne négociera que quand son armée ne pourra plus avancer, humilié ou pas. Macron devrait se concentrer là-dessus », a aussi réagi, cinglant, l’ex-ambassadeur de Barack Obama en Russie, Michael McFaul, aujourd’hui professeur à l’université de Stanford.
Emmanuel Macron se place de son côté dans le temps long, quand « la paix reviendra » et que de « nouveaux équilibres de sécurité » devront être construits en Europe.
Il faudra alors ne « jamais céder à la tentation ni de l’humiliation, ni de l’esprit de revanche », lâche-t-il le 9 mai à Strasbourg. Le chef de l’Etat fait alors allusion au « diktat » imposé en 1919 par les vainqueurs de la Première guerre mondiale à l’Allemagne, avec lourdes pertes territoriales et réparations, qui débouchera sur une nouvelle guerre mondiale en 1939-45.
« Il ne faut pas humilier la Russie pour que le jour où les combat cesseront, nous puissions bâtir un chemin de sortie par les voies diplomatiques », a-t-il répété samedi dans un entretien avec plusieurs quotidiens régionaux. Derrière ce débat pointe aussi celui sur les conditions du cessez-le feu, et de potentielles concessions à la Russie.
Un précédent en 2014
Faut-il apporter un soutien inconditionnel à l’Ukraine jusqu’à ce qu’elle obtienne une victoire totale, comme le suggèrent Américains et Européens de l’est ? Au risque que la Russie ne réplique contre l’Occident, y compris avec l’arme nucléaire, s’inquiètent d’autres ?
Si à l’inverse le conflit se fige dans le Donbass, « à un moment, épuisées par l’effort de guerre, les deux parties pourraient s’accorder sur un cessez-le-feu, sans réellement mettre fin au conflit », observe Marie Dumoulin, experte au Conseil européen des Relations internationales (ECFR) dans une note d’analyse.
Mais beaucoup redoutent le précédent de 2014, lorsque les Occidentaux ont laissé la Russie annexer la Crimée sans coup férir, et des accords de Minsk en 2015 qui n’ont jamais réussi à mettre fin au conflit avec les prorusses dans l’est de l’Ukraine.
Paris et Berlin étaient alors à la manœuvre. Sept ans plus tard, Emmanuel Macron revendique toujours un « rôle de puissance médiatrice » pour la France, dénonçant également une « erreur historique et fondamentale » de Vladimir Poutine.
Quelle paix ?
Mais pour quelle paix ? Celle-ci se fera aux « conditions » définies par l’Ukraine, martèle le chef de l’Etat, sans forcément rassurer ceux qui à l’Est le soupçonnent de vouloir faire des concessions à Moscou.
Pour le diplomate américain Daniel Fried, aujourd’hui consultant à l’Atlantic Council, Emmanuel Macron se place dans une « diplomatie de bonne foi ». « Mais le Kremlin est dans une logique de violence », loin des « gestes de bonne volonté ».
« Continuons à œuvrer ensemble pour qu’une génération d’hommes et de femmes n’ait pas à grandir sous le fléau d’une guerre de grande puissance », a averti lundi le chef d’état-major américain, le général Mark Milley, lors d’une cérémonie en Normandie pour le 78e anniversaire du Débarquement allié.