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Mutilations génitales féminines : une pratique cruelle toujours d’actualité


Près de 76 % des femmes sont excisées au Burkina Faso. Mais un gros travail de sensibilisation et des lois répressives commencent à faire baisser petit à petit le nombre de cas d’excision. (photo FFL)

Samedi se tiendra la journée mondiale de Lutte contre les mutilations génitales féminines, ces ablations partielles ou totales des organes génitaux encore pratiquées dans une trentaine de pays. L’Unicef estime qu’environ 200 millions de femmes et de jeunes filles à travers le monde, toujours en vie, ont subi cet acte barbare aux conséquences graves, sur le plan tant physique que psychologique.

Excision, infibulation, clitoridectomie… Une trentaine de pays à travers le monde, essentiellement en Afrique, mais aussi dans plusieurs régions du Moyen-Orient et d’Asie ainsi que, dans une moindre mesure, d’Amérique latine, continuent de pratiquer les mutilations génitales sur des femmes, le plus souvent entre l’enfance et l’adolescence. L’Unicef estime que, chaque année, plus de trois millions de jeunes filles sont menacées par ces pratiques, dont 180 000 vivant dans l’Union européenne.

Acte cruel ancestral qui viole les droits fondamentaux des femmes et que les Nations unies espèrent éradiquer d’ici dix ans dans le cadre du Programme 2030 et de ses objectifs de développement durable, les mutilations génitales continuent d’être pratiquées par tradition, sous couvert de la cohésion sociale et d’un rattachement culturel, pour leurs vertus prétendument bénéfiques, pour contrôler la sexualité des femmes également.

Or cette pratique qui ne se justifie nullement sur le plan médical n’est pas sans conséquences, dramatiques parfois, pouvant provoquer des séquelles irréversibles tant sur le plan physique que sur le plan psychique. Outre des infections liées au fait que l’opération soit menée dans des conditions sommaires avec du matériel qui l’est tout autant, les femmes excisées peuvent souffrir d’incontinence et d’infections urinaires à répétition, de kystes et de fistules (qui peuvent dégager une odeur nauséabonde et entraîner leur rejet de la société, sans qu’elles fassent le lien avec l’abus dont elles ont été victimes), de douleurs physiques lors des rapports sexuels (lesquels sont parfois même impossibles) et présenter des accouchements à risque, le risque de décès du nouveau-né étant accru avec l’infibulation.

L’Association des amis burkinabé de la Fondation Follereau Luxembourg, partenaire local de la FFL, aide les ex-exciseuses à trouver une autre activité professionnelle. La plupart se lancent dans l’élevage. (photo FFL)

Traumatisme et tabou

Mais les souffrances sont tout aussi importantes sur le plan psychologique. «Souvent, elles sont en état de choc lors de la mutilation. Beaucoup de femmes oublient alors complètement avoir été mutilées, d’autant qu’elles ont pour la plupart subi cela très jeunes», souligne Aurélie Costantini, chargée de communication à la Fondation Follereau Luxembourg, fondation qui lutte contre toutes les formes d’exclusion et, depuis 2009, contre les mutilations génitales féminines (MGF) qui constituent elles aussi une forme d’exclusion. En outre, le tabou qui entoure ces pratiques et plus généralement le sexe féminin empêche les femmes d’en parler ou même de prendre conscience de ce problème.

«Rejetées, accusées de sorcellerie, ces femmes ont parfois des accès de folie et peuvent sombrer dans une dépression profonde, qui peut conduire certaines au suicide», ajoute Claudine Ouedraogo, gestionnaire de projet de lutte contre les MGF à l’Association des amis burkinabé de la Fondation Follereau Luxembourg (AAB-FFL), partenaire de la FFL sur le terrain. «Pour cette raison, nous collaborons avec la fondation Rama qui vient en aide aux femmes victimes de fistule obstétricale et de prolapsus, laquelle, dès l’arrivée des femmes dans le centre, leur apporte un soutien psychologique. De plus, le fait de retrouver d’autres femmes qui ont vécu des situations similaires les réconfortent.»

Trois femmes sur cinq au Burkina Faso

Au Burkina Faso, en 2010, près de 76 % des femmes étaient excisées, indique la FFL, soit trois femmes sur cinq. «Depuis 2015, le nombre de filles excisées entre 0 et 14 ans est passé de 13,3 % à 11,3 %, précise toutefois Claudine Ouedraogo. Ce n’est pas une baisse considérable, mais les choses bougent un peu. Nous attendons la nouvelle enquête qui doit sortir, mais on sent déjà une diminution des cas sur le terrain. Les gens commencent à comprendre, même si bien sûr nous souhaiterions que la situation évolue plus rapidement.»

Il faut dire que le Burkina, l’un des premiers pays concernés à s’être dotés d’une loi répressive contre les MGF en 1996, s’engage pleinement dans ce combat. Sika Kaboré, la première dame du pays, est même la présidente d’honneur du Conseil national de lutte contre la pratique de l’excision (CNLPE), structure créée en 1990 et placée sous la tutelle du ministère de la Femme, de la Solidarité nationale et de la Famille, qui a la charge de coordonner la lutte contre les MGF. «Cet organe national nous appuie beaucoup sur le terrain et nous accompagne dans nos activités. Il maîtrise le contexte, ce qui facilite les interventions», fait savoir Claudine Ouedraogo.

L’AAB-FFL travaille en effet sur plusieurs fronts pour éradiquer cette pratique barbare : travail de sensibilisation par le biais de procédures éducatives, de théâtres forains, de jeux radiophoniques, sensibilisation grand public, formation des infirmiers chefs de poste et des enseignants (un module sur les MGF est depuis quelques années intégré au cursus), ou encore activité de plaidoyer auprès des communautés coutumières et religieuses.

«On réfléchit aussi actuellement à la manière de travailler sur les normes sociales, afin de comprendre pourquoi, malgré le travail de sensibilisation sur le terrain, la problématique persiste. Les MGF sont en effet vraiment ancrées dans les communautés, les gens ont du mal à s’en détacher et continuent de respecter les exciseuses, de les considérer comme des exemples», déplore Claudine Ouedraogo, qui reste malgré tout optimiste. Car les femmes victimes d’excision qui peuvent être aujourd’hui prises en charge et qui reviennent dans leur communauté peuvent témoigner tant de leurs difficultés que de leur bonne santé recouvrée.

L’AAB-FFL a ainsi contribué à «réparer» 340 femmes depuis le lancement du projet, en 2015. «Leur témoignage encourage à abandonner la pratique. Elles deviennent de véritables relais communautaires pour nous.» Claudine Ouedraogo et ses collaborateurs misent aussi et surtout sur la nouvelle génération, qui a accès à des modules sur les MGF dans les cursus : «C’est à ce niveau que nous pouvons espérer éradiquer dans quelques années l’excision.»

Réorienter les ex-exciseuses

En outre, l’AAB-FFL s’occupe de la situation des ex-exciseuses, qui peuvent elles aussi devenir de véritables relais communautaires et ainsi contribuer à la lutte contre les MGF. L’association expérimente actuellement un projet en Sissili, une province de la région centre-ouest du Burkina Faso. «Au départ, nous voulions leur proposer directement des activités génératrices de revenu. Mais le CNLPE nous a fait savoir qu’il fallait procéder autrement, car organiser de telles activités pourrait être mal perçu : cela pourrait être vu comme un encouragement à l’excision, et certaines femmes pourraient alors vouloir se lancer dans la pratique de l’excision afin de bénéficier de ces activités», explique Claudine Ouedraogo.

Du coup, l’AAB-FFL commence par recenser les exciseuses avant de leur proposer une formation de sensibilisation à la lutte contre les MGF. Des cellules du CNLPE vérifient ensuite sur le terrain que les participantes sont réellement convaincues d’abandonner la pratique et continuent de mener ce travail de sensibilisation au sein de leur communauté. Après quoi seulement, les plus déterminées se verront proposer un projet. «Nous avions recensé quinze exciseuses, onze ont accepté de suivre la formation. Nous avons finalement proposé une activité génératrice de revenus à huit d’entre elles – dont un homme, car il y a aussi des hommes qui pratiquent les MGF. La plupart se sont orientés vers des activités d’élevage ou de vente de denrées alimentaires, comme le mil par exemple.»

Tatiana Salvan

Une loi plus dure

Dès 1996, le Burkina Faso a adopté une loi répressive contre la pratique des mutilations génitales féminines. Cette loi a été durcie en 2018, comme l’indique Claudine Ouedraogo, gestionnaire de projet de lutte contre les MGF à l’Association des amis burkinabé de la Fondation Follereau Luxembourg (AAB-FFL) : «Tant les amendes que les peines de prison encourues sont aujourd’hui plus importantes. Auparavant, une exciseuse risquait entre six mois et trois ans de prison et de 150 000 à 900 000 francs CFA d’amende (NDLR : de 230 à 1 400 euros environ). Désormais, elle risque entre un et dix ans de prison ainsi qu’une amende allant de 500 000 à 3 millions de francs CFA (de 760 à 4 600 euros).» Il faut savoir que le revenu moyen au Burkina Faso s’élève à une soixantaine d’euros par mois. De 2018 à 2020, près de 70 personnes ont été condamnées dans tout le pays.

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