Après une spectaculaire relaxe en 2017, les Wildenstein sont de retour devant la justice : le procès en appel des héritiers de la famille de marchands d’art, jugés pour une colossale fraude fiscale, a débuté vendredi à Paris par de subtiles joutes juridiques.
Loin de la guerre d’héritiers sur les Fragonard et Caravage cachés, les immeubles prestigieux ou le ranch en Afrique, la défense du Franco-américain Guy Wildenstein, 72 ans, a d’emblée attaqué sur des questions de constitutionnalité, destinées à contester la tenue du procès.
Des requêtes auxquelles les représentants du fisc et de l’accusation se sont immédiatement opposés, comptant bien voir les débats se tenir et obtenir cette fois la sanction de ce que le parquet national financier (PNF) a qualifié de fraude fiscale « la plus longue et la plus sophistiquée » de l’histoire récente en France. Coupant court aux échanges à fleurets mouchetés entre la défense – « c’est le royaume d’Ubu procureur » – et l’accusation – « Cornebidouille », a osé l’avocat général -, la présidente Catherine Dalloz a renvoyé sa réponse sur ces points de droit à la date du jugement, d’ores et déjà fixée au 29 juin.
Maquis de sociétés écrans
Il est reproché aux Wildenstein d’avoir dissimulé l’essentiel de leur immense fortune au fisc, utilisant un maquis de sociétés écrans, à l’occasion de deux successions : lors des décès en 2001 de Daniel Wildenstein, le patriarche du clan, et en 2008 d’Alec, son fils aîné et époux de Liouba Stoupakova. Dans l’étroite salle d’audience, tous les prévenus sont là : le chef de famille Guy (fils cadet de Daniel), son neveu Alec junior à l’élégance décontractée, sa belle-sœur Liouba – une des femmes de la famille par lesquelles les secrets fiscaux ont été mis au jour sur fond de querelles de succession – et les conseillers suisses et anglo-saxon.
Le premier s’est présenté comme un bon père de famille – quatre enfants et neuf petits-enfants – au casier vierge, marchand d’art au revenu annuel de 1,2 millions de dollars, « salaires et commissions compris », précise-t-il. Son neveu Alec junior, 38 ans, explique à la barre qu’il n’a « pas de revenus ». Il siège bien au conseil d’administration d’une société de préservation de la nature au Kenya, occupe la somptueuse ferme où fut tourné le film Out of Africa mais « vit de prêts de certains amis »: « En ce moment c’est difficile », risque l’héritier, qui vient d’avoir un enfant.
Quant à Liouba, sages tresses noires et tunique à carreaux, elle vit désormais à Moscou de ses sculptures. Arrivée en victime dans l’affaire, en rupture avec le clan, elle comparaît pour blanchiment de fraude fiscale, notamment pour avoir touché des millions d’euros versés par un « trust », une société-écran mise en place par son mari Alec.
« Trois générations » de dissimulation
L’ambiance est détendue, les avocats nombreux. La défense promet des débats « très techniques » pour voir confirmer le jugement de première instance. Après quatre semaines de procès, tout en relevant une « claire intention d’évasion patrimoniale et fiscale », le tribunal avait relaxé les trois héritiers, leurs conseils et deux sociétés anglo-saxonnes de gestion d’actifs. Les frères Guy et Alec n’avaient déclaré que 40,9 millions d’euros d’héritage en 2002 et payé – en bas-reliefs sculptés pour la reine Marie-Antoinette – des droits de succession de 17,7 millions d’euros. Le fisc a depuis refait ses calculs, pour les héritages de Daniel (2001) puis d’Alec (2008) : il réclame toujours, dans un contentieux distinct, 550 millions d’euros aux Wildenstein. Un montant à la hauteur de la fraude, parfois assortie de blanchiment, reprochée au clan.
La propriété des biens de la richissime famille se perd dans un entrelacs de holdings et de trusts, ces sociétés-écran enregistrées à Guernesey ou aux Bahamas. Le fruit de « trois générations » de dissimulation selon le tribunal, qui a toutefois estimé qu’il manquait « d’éléments légaux » pour la condamner. Le procès se tiendra les mercredi et jeudi après-midi et le vendredi matin, jusqu’au 23 mars.
Le Quotidien/AFP