Sont-ils «migrants», «réfugiés», «clandestins»? Doit-on parler d’«afflux», de «crise» migratoire en Europe? Sur les migrations, le choix des mots n’est pas neutre.
La multiplication des naufrages en Méditerranée, les tentatives de gagner l’Europe occidentale par les Balkans, ou le Royaume-Uni via le tunnel sous la Manche ont attisé ces derniers mois la sensibilité du sujet pour les médias et les politiques.
Certains dérapent parfois, comme le Premier ministre conservateur britannique, David Cameron, parlant d’une « nuée de migrants » cherchant à rejoindre son pays. «Il devrait se rappeler qu’il parle d’êtres humains, pas d’insectes», a dénoncé l’opposition travailliste. En France, l’ancien président de droite Nicolas Sarkozy a choqué en comparant fin juin les arrivées en Europe à « une canalisation qui explose » et « se déverse dans la cuisine ». En Grèce, c’est la « bombe à retardement » évoquée le 20 août par le ministre de la Protection civile, Yannis Panoussis, au sujet des flux migratoires qui a fait réagir.
Vrai casse-tête, le choix du vocabulaire peut être très marqué dans certains pays. C’est le cas en Italie, où Matteo Salvini, le dirigeant populiste et anti-immigrés de la Ligue du Nord (opposition), ne parle que de «clandestini» (clandestins).
Un terme qui «déshumanise»
Un peu partout, le terme «migrant» – désignant au sens propre une personne quittant son pays pour un autre quelles que soient ses motivations (politiques, personnelles, économiques) – s’est majoritairement imposé ces derniers mois. Sans pour autant faire l’unanimité.
Un journaliste de la chaîne qatarienne Al-Jazeera, Barry Malone, a lancé le débat la semaine dernière. Jugeant que « le terme générique de « migrants » n’est plus pertinent pour décrire les horreurs qui se passent en Méditerranée », il a appelé à privilégier le mot « réfugiés ».
« Parler de « migrants » est une façon de déshumaniser les gens, de ne plus parler d’individus , explique Elisabeth Vallet, spécialiste des questions migratoires à l’université du Québec à Montréal (UQAM). Personne ne demande pourquoi une mère va vouloir prendre ses enfants un matin, traverser le désert, traverser une mer difficile en canot pneumatique, affronter les gaz lacrymogènes de la police alors que ça devrait être la première question », estime-t-elle.
Cette froideur lexicale explique sans doute la profusion du terme dans le discours politique : dans les neuf pages de la récente déclaration franco-britannique pour «faire face à la pression migratoire» dans le nord de la France pour gagner le Royaume-Uni, le mot «migrant» revient une trentaine de fois, «réfugié» pas une seule. À ce dernier terme, le texte préfère l’expression plus aseptisée de «migrants en besoin de protection».
La majorité fuit la guerre
L’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) plaide pour l’usage des deux mots, estimant qu’une «distinction devrait être faite entre les personnes fuyant la guerre et la persécution, des « réfugiés », et celles en quête de travail ou d’une vie meilleure, les « migrants »». « « Migrants » n’est pas un terme adéquat pour décrire des flux de populations qui fuient la violence et la persécution , estime Ariane Rummery, une porte-parole de l’UNHCR. La majorité des personnes qui arrivent en Europe viennent de pays en proie à la guerre, à la violence ou aux persécutions : la Syrie, l’Afghanistan, l’Irak, l’Érythrée », fait-elle valoir.
L’Organisation internationale des migrations (OIM), basée à Genève, défend pour sa part l’emploi du seul terme «migrant», à la faveur justement de son caractère générique. De nombreux arrivants, notamment les victimes de trafic d’êtres humains, n’entrent ni dans les «migrants économiques» ni dans les «réfugiés», estime Leonard Doyle, porte-parole de l’OIM. « Dire qu’il y a les « réfugiés » et que ceux qui n’en sont pas doivent être renvoyés chez eux est extrêmement dangereux », selon lui.
Une connotation de rejet
Responsable des programmes asile de l’ONG chrétienne française ACAT, Eve Shahshahani préfère le terme d’« exilé », car « on comprend dans le mot d’exil qu’on n’a pas eu le choix, que ce soit économique ou politique ».
«Afflux», «pression» ou «crise» migratoire, «tentatives d’intrusion» : plus généralement, nombre d’ONG s’inquiètent du champ lexical utilisé pour évoquer la situation actuelle, à trop forte connotation de rejet selon elles. « On a l’impression qu’on parle d’une invasion de sauterelles ou d’une fuite d’eau et cela entretient l’idée que l’arrivée de ces personnes est un désastre », regrette Shahshahani.
AFP