Il y a un an, dans une Europe ébranlée, l’Allemagne décidait seule d’ouvrir ses portes aux Syriens. Depuis, l’UE a trouvé un consensus autour du verrouillage de ses confins, mais elle reste profondément divisée sur la question de l’accueil des réfugiés.
« L’Europe est dans une situation qui n’est pas digne de l’Europe », expliquait Angela Merkel à la fin de l’été 2015 pour justifier son choix de ne plus renvoyer les demandeurs d’asile syriens fuyant la guerre vers leur pays d’entrée dans l’UE, comme le veut la règle.
Accusée par certains d’avoir créé « un appel d’air » et fragilisé l’espace Schengen de libre circulation, applaudie par d’autres pour avoir pris la mesure du drame humain des réfugiés, la chancelière « avait peu de choix », estime Stefan Lehne, expert à la fondation Carnegie Europe.
« A ce moment, les Etats membres de l’UE étaient complètement divisés » et « une situation de chaos » se profilait, poursuit-il, relevant que la chancelière a « ensuite modifié sa politique dans un sens beaucoup plus restrictif, mais sans changer son discours ».
Après des mois de déchirements, les pays de l’UE ont finalement réussi à trouver, à partir de fin 2015, un « nouveau consensus pour réduire drastiquement le nombre d’arrivées » de migrants, qui a « restauré la capacité de l’UE à bâtir une action commune », selon M. Lehne.
Cette convergence s’est traduite par l’adoption en un temps record d’un nouveau corps européen pour protéger les frontières extérieures de l’UE. Il devrait être opérationnel d’ici fin 2016 et pourra envoyer jusqu’à 1.500 gardes-frontières en quelques jours dans un pays débordé.
Elle a aussi permis la fermeture de la route des Balkans et la conclusion d’un accord migratoire controversé avec la Turquie, suivies à partir du printemps 2016 d’une chute massive du nombre d’arrivées en Grèce par la mer Egée.
Après les plus de 850.000 traversées depuis la Turquie en 2015, et les quelque 1.700 arrivées quotidiennes juste avant le pacte du 18 mars avec Ankara, les chiffres sont passés à quelques dizaines par jour dans les semaines suivantes.
L’UE se tourne désormais vers l’Afrique, dont les côtes sont redevenues le principal axe de passage clandestin vers l’Europe, et s’apprête à proposer des investissements massifs à certains pays, contre l’engagement de freiner les migrations.
Si les Européens s’entendaient dans le futur avec la Libye, d’où viennent une grande part des migrants gagnant l’Italie (plus de 112.000 de janvier à août), « alors on pourra dire que l’Europe forteresse est devenue une réalité », estime Demetrios Papademetriou, président de l’Institut Migration Policy Europe.
Selon Yves Pascouau, directeur à l’European Policy Center et spécialiste des questions migratoires, « l’idée de couper les routes migratoires, en termes de realpolitik, a effectivement fonctionné ».
Mais l’accord avec la Turquie est « fragile », politiquement et juridiquement, souligne le chercheur, et « on n’a toujours pas réussi à dépasser les divisions entre Etats membres » sur l’accueil des réfugiés et l’harmonisation du patchwork du droit d’asile dans l’UE.
Le plan temporaire de « relocalisation » de réfugiés depuis la Grèce et l’Italie vers d’autres pays de l’UE, censé incarner la solidarité européenne, s’est en effet embourbé.
En un an, il a concerné moins de 4.500 personnes, sur 160.000 prévues d’ici septembre 2017, alors que quelque 57.000 demandeurs d’asile sont toujours bloqués en Grèce.
Parmi ses détracteurs les plus virulents, la Hongrie et la Slovaquie ont même décidé d’attaquer devant la justice européenne ce mécanisme, obligatoire pour tous depuis son adoption en septembre 2015 par la majorité des Etats membres.
Le dirigeant hongrois Viktor Orban a même décidé d’organiser un référendum le 2 octobre pour consulter sa population sur ce plan qu’il conteste farouchement.
Ces résistances laissent présager des débats compliqués sur la réforme actuellement en chantier du règlement Dublin, qui détermine les règles de répartition des demandeurs d’asile dans l’UE.
La Commission européenne a proposé d’instaurer de manière pérenne un mécanisme de répartition automatique des demandeurs d’asile, activé dans des cas exceptionnels. Les pays refusant de respecter leur quota d’accueil devraient payer 250.000 euros par personne non accueillie.
Cette proposition a essuyé de vives critiques, venant sans surprise des pays déjà hostiles aux « relocalisations ».
Avec ces divergences persistantes sur « la question cruciale du partage du fardeau », « le système global reste fragile et vulnérable », estime Stefan Lehne, jugeant « assez clair » que l’Europe sera confrontée à d’autres afflux massifs de migrants dans le futur.
Le Quotidien / AFP
Un an de crise migratoire en Europe
Il y a un an, la photo du corps sans vie du petit Aylan, enfant syrien retrouvé noyé sur une plage turque, faisait le tour du monde et choquait l’Europe.
Dans l’année qui suit, à une phase éphémère d’ouverture des frontières sous l’impulsion de l’Allemagne, va succéder une rafale de mesures restrictives dans l’Union européenne.
Le 2 septembre 2015, une embarcation surchargée de réfugiés syriens qui tentait de rallier l’île grecque de Kos, porte d’entrée dans l’Union européenne, chavire au large de la station balnéaire huppée de Bodrum (sud de la Turquie). Le jeune Aylan Kurdi, sa mère et son frère, ainsi que neuf autres réfugiés syriens périssent dans le naufrage.
Les images du corps de l’enfant de trois ans, gisant face contre terre sur une plage, provoquent une onde de choc à travers le monde.
Alors que l’Europe connaît une de ses pires crises migratoires depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, Berlin assouplit ses règles d’accueil pour les ressortissants syriens, renonçant à les renvoyer vers leur point d’entrée en Europe.
L’Allemagne, qui accueillera au total 1,1 million de demandeurs d’asile en 2015 -un record absolu- voit arriver plus de 20.000 migrants le seul weekend du 5-6 septembre. Dans une décision sans précédent, l’Autriche a accepté la veille, en concertation avec Berlin, de faciliter l’accueil et le transit vers l’Allemagne de milliers de migrants coincés en Hongrie, qui a vu affluer en août quelque 50.000 personnes.
La chancelière Angela Merkel appelle ses partenaires européens à ouvrir plus grand leurs portes aux dizaines de milliers de réfugiés qui se pressent aux portes de l’Europe. Après moult tergiversations, la France s’engage à accepter 24.000 réfugiés en deux ans, le Royaume Uni 20.000 Syriens sur cinq ans.
L’Allemagne, au bord de la saturation, réintroduit le 13 septembre les contrôles à ses frontières pour « contenir » l’afflux de dizaines de milliers de réfugiés arrivant des Balkans, suspendant la libre circulation dans l’espace européen. La volte-face intervient alors que Mme Merkel est confrontée à des problèmes logistiques et à la grogne de son propre camp politique.
La décision de Berlin de contrôler ses frontières fait rapidement des émules, au premier rang desquels les pays de l’Est qui rejettent depuis des semaines l’idée allemande de quotas de répartition des réfugiés entre les 28 membres de l’UE. L’Autriche, la République tchèque, la Slovaquie, pays de transit, rétablissent les contrôles frontaliers. La Hongrie et la Slovénie, principaux pays d’entrée dans la zone Schengen, érigent des clôtures de barbelés.
Partisan d’une ligne dure, le Premier ministre hongrois Viktor Orban, met en place une nouvelle législation permettant un déploiement de l’armée à la frontière et rendant l’immigration illégale passible de peines de prison ferme. Il annoncera en juillet un référendum, prévu le 2 octobre prochain, contre le plan de répartition des migrants dans l’UE.
Plusieurs pays d’Europe orientale et des Balkans fermeront en février 2016 leurs frontières aux migrants, notamment la Macédoine, la Slovénie, la Serbie et la Croatie.
Un million de migrants sont arrivés en Europe en 2015, chiffre record depuis la Seconde guerre mondiale, selon un communiqué publié fin décembre par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR).
La très grande majorité d’entre eux – plus de 821.000 – est passée par la Grèce, dont 816.000 arrivés par la mer, selon les deux organisations humanitaires qui précisent qu’environ 3.700 migrants ont péri en mer en un an.
En mars 2016, l’UE et la Turquie concluent un accord controversé prévoyant le renvoi de tous les migrants et demandeurs d’asile arrivés en Grèce depuis le 20 mars. Depuis, le nombre de migrants transitant par les Balkans et l’Europe centrale a décru. Mais cet accord est aujourd’hui compromis, la Turquie menaçant de le dénoncer si elle n’obtient pas de Bruxelles la libéralisation des visas pour ses citoyens.
La majeure partie du flux passe désormais par l’Italie. Sur les 272.000 migrants et réfugiés ayant traversé la Méditerranée depuis janvier 2016, plus de 112.000 ont rejoint l’Italie, et 3.165 ont péri en mer, selon un bilan de l’OIM publié fin août.