A trois jours d’un sommet crucial avec la Turquie, les Européens essaient de s’entendre pour faire face à une crise migratoire sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, le président du Conseil de l’Europe prédisant «un consensus».
«Pour la première fois depuis le début de la crise des migrants, je peux voir un consensus européen émerger autour d’une stratégie globale, qui, si elle est mise en oeuvre de façon loyale, peut aider à endiguer les flux» migratoires, écrit le président du Conseil, Donald Tusk, dans une lettre d’invitation au sommet européen extraordinaire organisé avec la Turquie lundi à Bruxelles.
Au terme d’un périple sur la «route des Balkans», la plus empruntée par les migrants, il a rencontré vendredi le président turc Recep Tayyip Erdogan pour l’exhorter à en faire davantage pour ralentir les départs vers l’Europe.
Il s’est également entretenu à Belgrade avec le Premier ministre serbe Aleksandar Vucic. Durant l’entretien, «il a été indiqué qu’il fallait s’attendre à un changement de la politique européenne envers les migrants», selon les autorités serbes. Plus de 1,25 million de demandes d’asile, principalement de Syriens, d’Afghans et d’Irakiens, ont été déposées l’an dernier dans l’UE. Ce chiffre, plus du double par rapport à 2014, est le plus élevé jamais enregistré, selon l’Office européen de statistiques Eurostat.
Depuis septembre, huit pays ont provisoirement rétabli les contrôles à leurs frontières pour freiner les arrivées. Dans sa «feuille de route» publiée vendredi, la Commission européenne a plaidé pour un retour au «fonctionnement normal» de l’espace de libre circulation de Schengen d’ici fin 2016.
Jusqu’à présent, les 28 de l’UE se sont montrés incapables d’apporter une réponse coordonnée, tandis que les flux de migrants se poursuivent, avec plus de 130 000 arrivées en Europe depuis janvier – d’où un appel à la Turquie, pays frontalier de la Grèce d’où embarquent la majorité des migrants vers l’Europe.
Appel à la Turquie
«Il y a un besoin immédiat de pallier les récentes failles dans la protection de la frontière extérieure (de l’UE) en Grèce», où ont transité illégalement plus de 868 000 personnes en 2015, a réaffirmé vendredi la Commission européenne. La Turquie, dont le régime islamo-conservateur est accusé de dérive autoritaire, est plus que jamais considérée côté européen comme un partenaire clé pour maîtriser la situation.
Cette semaine, un journaliste turc incarcéré pendant trois mois, Can Dündar, a critiqué les «sales petites combines» de l’UE, accusée de sacrifier la défense des libertés en Turquie en échange d’un accord sur les migrants. Accueillant 2,7 millions de réfugiés syriens, la Turquie s’était engagée en novembre à ralentir le flux migratoire – sans grand résultat jusqu’ici – en échange d’une aide de trois milliards d’euros et d’une accélération de sa procédure de candidature à l’UE.
Or cette semaine, Ankara a fait savoir qu’elle était prête à signer avec 14 pays un accord de réadmission de leurs ressortissants sur leur sol, c’est-à-dire d’accepter à nouveau sur son territoire des migrants ayant poursuivi leur chemin en Europe. «Nous avons aussi commencé à étudier la possibilité d’une réadmission pour les demandeurs d’asile comme ceux venant du Maroc, du Pakistan ou d’Afghanistan», trois pays associés aux migrations économiques, a souligné le chef de la diplomatie turque Mevlüt Cavusoglu.
«Les gens sont angoissés»
Sur le terrain, la fermeture partielle des frontières sur la route des Balkans a piégé des milliers de personnes en Grèce, faisant planer la menace d’une crise humanitaire. La Slovénie, redoutant de devenir un goulot d’étranglement sur cette route migratoire, a d’ailleurs durci vendredi soir ses conditions de demande d’asile. Amnesty International a dénoncé une violation de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Quant à la Grèce, elle comptait 32 000 réfugiés sur son territoire, contre 20 000 le week-end dernier.
Les arrivées demeuraient incessantes dans la ville d’Idomeni, à la frontière gréco-macédonienne. «Les gens sont angoissés», selon Stella Nanou, du Haut-commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR), «ils veulent aller à la frontière, ils ont peur de ne jamais pouvoir continuer la route».
Quelque 3 000 personnes – Syriens, Irakiens, Iraniens et Afghans – se pressaient vendredi au port du Pirée, à Athènes, selon le HCR. Couvertures posées par terre, des familles étaient accroupies avec des enfants dans les bras. Les plus chanceux dormaient sous des tentes.
Le Quotidien/AFP