L’UE va chercher jeudi les moyens de combattre, y compris par la force, les «esclavagistes» en Libye, responsables de la pire tragédie de migrants en Méditerranée, que des survivants commencent à raconter.
Les dirigeants des 28 pays de l’UE se retrouvent jeudi pour un sommet extraordinaire convoqué en urgence après le naufrage d’un chalutier chargé de migrants, qui a fait quelque 800 morts. Arrivés mardi en Sicile, les 28 survivants de cette catastrophe, dont les deux passeurs aussitôt arrêtés, ont commencé à livrer quelques détails sur leur traversée.
Au moment du choc contre le cargo portugais venus à la rescousse, «nous nous sommes tous précipités sur un bord, le bateau s’est penché et, en cinq minutes, il a coulé à pic», a raconté à l’agence italienne AGI un des survivants les plus jeunes, depuis le centre d’accueil pour mineurs à Catane en Sicile.
Ce jeune homme, dont l’identité n’a pas été précisée, a raconté avoir sauvé sa vie parce qu’il se trouvait, en «première classe», sur le pont supérieur du chalutier. «Ceux qui avaient le moins d’argent ont été enfermés à fond de cale. J’étais sur le pont intermédiaire, et ceux qui avaient le plus payé étaient au-dessus», a ainsi raconté Abdirizzak au Corriere della Sera.
Entassés à plus de 850 sur ce bateau de 20 mètres, seuls 28 d’entre eux ont sauvé leur vie. Les garde-côtes ont repêché 24 corps. Des centaines d’autres corps, y compris des femmes et des enfants, sont restés prisonniers à l’intérieur du chalutier.
Parqués pendant un mois
Ils avaient payé leur voyage entre 330 et 660 euros, selon le Parquet de Catane, et pour certains, ont été parqués pendant plus d’un mois dans une usine désaffectée près de Tripoli avant d’embarquer jeudi soir. Le naufrage a eu lieu dans la nuit de samedi à dimanche à quelque 60 milles (110 km) au large des côtes libyennes.
Face à ce drame, le plus grave en Méditerranée depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’Union européenne cherche une solution. L’Italie a demandé mercredi à ses partenaires de combattre ensemble les passeurs en Méditerranée, «marchands d’esclaves du XXIème siècle», et d’intervenir à long terme pour aider les pays au sud de la Libye à se stabiliser. «Combattre les trafiquants d’hommes signifie combattre les marchands d’esclaves du XXIème siècle. Ce n’est pas seulement une question de sécurité et de terrorisme, mais de dignité humaine», a-t-il déclaré devant le Parlement de son pays.
Dimanche, il avait évoqué la possibilité d’«interventions ciblées» contre les passeurs en Libye, une idée qui fait son chemin en Europe. Le Premier ministre britannique David Cameron a ainsi dit vouloir empêcher les migrants de prendre la mer, afin de «mettre fin à ces cargaisons de la mort». Il a précisé vouloir exposer les détails de son plan jeudi à ses partenaires de l’UE. Parmi les options envisagées, selon le Times de Londres: le déploiement du HMS Bulwark, l’un des plus grands navires de guerre britannique, ou du destroyer HMS Dauntless, ou d’hélicoptères pour des missions de surveillance.
Traiter les causes
Le chef du gouvernement italien a aussi plaidé pour que les causes des départs soient combattues «à leurs racines». Avec l’ONU, l’Europe «doit avoir une stratégie à long terme en Afrique», en ayant une présence forte dans les pays au sud de la Libye. «L’Afrique doit devenir l’élément clé de la politique italienne et mondiale», a-t-il dit. Il faut traiter «les causes mêmes de ce qui produit ces drames», avait indiqué mardi le président français François Hollande, mentionnant «un Etat, la Libye, qui n’est plus un Etat, et donc qui ne contrôle rien, voire même laisse faire».
Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a quant à lui souhaité «davantage de solidarité financière» envers les pays européens touchés par l’immigration massive en Méditerranée. L’Union européenne a d’ores et déjà adopté lundi un plan d’action en dix points qui prévoit notamment le doublement des moyens pour la mission de surveillance maritime Triton.
A Catane, les enquêteurs poursuivaient mercredi leurs interrogatoires, avant une éventuelle inculpation du commandant du chalutier, un Tunisien âgé de 27 ans, Mohammed Ali Malek. Ce dernier a été désigné par le Parquet de Catane comme le principal responsable de la tragédie. Pour les procureurs en charge de l’enquête, l’homme a provoqué le naufrage en surchargeant son navire et se montrant incapable de le manoeuvrer à l’approche d’un cargo portugais venu le secourir.
Depuis le début de l’année, ce sont quelque 1.750 migrants, hommes, femmes et enfants qui ont péri en mer, dont 450 la semaine dernière. C’est 30 fois plus que durant la même période l’an dernier, selon l’Organisation internationale des migrations (OIM). Plus de 20.000 migrants ont déjà débarqué en Italie depuis le début de l’année. Et rien ne semble devoir les décourager. Mercredi, un total de 1.106 migrants sont arrivés sur les côtes italiennes: 545 à Salerno près de Naples, 446 à Augusta en Sicile et 112 à Lampedusa, au large de la Tunisie.
AFP