Vingt-deux mois après la mort atroce de 71 migrants dans un camion frigorifique retrouvé en Autriche en août 2015, le procès fleuve des trafiquants responsables de ce tragique transport s’est ouvert mercredi en Hongrie.
Cinquante-neuf hommes, huit femmes et quatre enfants, dont un bébé, originaires de Syrie, d’Irak et d’Afghanistan, étaient morts étouffés dans le compartiment hermétiquement clos du véhicule, sans être secourus par les passeurs. Le drame avait provoqué une onde de choc en Europe et favorisé l’ouverture momentanée des frontières aux centaines de milliers de migrants désireux de rejoindre l’ouest du continent.
Encadrés par des agents des forces spéciales hongroises, dix des onze accusés d’origine bulgare, libanaise et afghane, tous sous les verrous depuis plusieurs mois, ont pris place mercredi matin dans la salle de la cour d’assises de Kecskemét, la ville du sud de la Hongrie où le camion avait été loué. Tous doivent répondre de « tortures » et pour certains d’homicides. Le procès s’appuie sur 59 000 pages de procédure et doit se dérouler sur plusieurs mois, la cour espérant rendre son verdict « cette année ».
Le parquet a d’ores et déjà annoncé qu’il requerrait la réclusion criminelle à perpétuité incompressible pour « homicides avec circonstance aggravante de cruauté particulière » à l’encontre de quatre des accusés. Il s’agit d’un Afghan âgé de 30 ans, chef présumé du réseau, et de trois Bulgares : son adjoint (31 ans), le chauffeur du camion (26 ans) et l’accompagnateur de ce dernier (39 ans). Des peines allant jusqu’à vingt ans de prison ferme seront requises à l’encontre des sept autres membres du réseau, six Bulgares et un Libanais. Un des accusés bulgares est jugé par défaut.
« Qu’il les laisse mourir »
Le 27 août 2015, la police autrichienne avait découvert le camion frigorifique abandonné sur une autoroute à Parndorf, près de la frontière hongroise, avec sa macabre cargaison à bord. L’enquête a établi que les 71 migrants avaient été pris en charge la veille à l’aube à Morahalom, près de la frontière serbe. Entassés dans 14 mètres carrés, avec moins de 30 mètres cubes d’air pour respirer, ils avaient succombé alors que le véhicule se trouvait encore sur le territoire hongrois, selon les légistes.
Les charges à l’encontre des passeurs sont d’autant plus accablantes que des écoutes téléphoniques ont établi qu’ils n’ignoraient rien du drame en train de se jouer. Alerté par ses hommes que les migrants suffoquaient et criaient pour qu’on leur donne de l’air, Samsoor L., le chef afghan, avait formellement interdit que soit entrouvert le compartiment frigorifique. « Qu’il les laisse plutôt mourir. C’est un ordre », avait-il intimé à son adjoint, qui lui demandait quelles consignes donner au chauffeur. « S’ils meurent, qu’il les décharge dans une forêt en Allemagne », avait-il par ailleurs déclaré, selon un procès-verbal dévoilé par des médias allemands.
Le drame aurait-il pu être évité ? Les enquêteurs hongrois ont reconnu que les responsables de la bande, qui opérait depuis février 2015, étaient sur écoutes. Mais les conversations -qui se faisaient en bulgare, en serbe et en pachtoune- étaient enregistrées et non suivies en direct… L’organisation avait généré d’importants profits en convoyant en sept mois au moins 1 106 migrants à qui il était demandé de 1 000 à 1 500 euros chacun pour passer en Autriche, selon le parquet.
Autre circonstance accablante : le jour même où le camion avait été découvert, et alors qu’il n’ignoraient rien du sort funeste de ses passagers, les trafiquants avaient organisé un nouveau transport selon le même mode opératoire. Les 67 migrants à bord cette fois-ci n’avaient eu la vie sauve que parce qu’ils avaient réussi à défoncer la porte du compartiment. Grâce à un travail de fourmi de la police autrichienne, les corps des victimes de Parndorf ont tous pu, à l’exception d’un seul, être identifiés. La majorité d’entre eux ont été rendus à leurs proches, les autres ont été enterrés à Vienne.
Le Quotidien/AFP