Le surprenant retour au pouvoir, à 92 ans, de Mahathir Mohamad doit beaucoup au scandale de corruption lié au fonds souverain 1MDB, une affaire qui a également éclaboussé le Luxembourg, avec l’implication de la banque privée Edmond de Rotschild Europe.
Il a fallu, samedi, l’intervention de la police antiémeute pour contenir la fureur de dizaines d’habitants de Kuala Lumpur qui avaient pris d’assaut les abords d’un aéroport de la capitale malaise afin d’en contrôler les accès. Ils voulaient empêcher le Premier ministre sortant, Najib Razak, de fuir le pays comme en avait fait état des rumeurs sur les réseaux sociaux. «Je hais Rosmah !», criait un homme, visant l’épouse de Razak, connue pour son amour des voyages de luxe et sa collection de sacs à main de grandes maisons.
Le même jour, son successeur, Mahathir Mohamad, revenu au pouvoir 15 ans après son départ, confirmait au cours d’une conférence de presse avoir «empêché Najib de sortir du pays». Interrogé sur le fait de savoir si ces mesures étaient liées à l’affaire 1MDB, celui qui dirigea déjà la Malaisie de manière autoritaire de 1981 à 2003, a répondu : «Il y a beaucoup de plaintes contre Najib Razak et toutes doivent faire l’objet d’une enquête. Nous trouvons que certaines de ces plaintes sont fondées.»
Enquête et amende record au Luxembourg
Najib Razak, 64 ans, était candidat aux élections législatives du 10 mai pour le Barisan Nasional (Front national, BN), une coalition de 13 partis au pouvoir depuis l’indépendance en 1957 de l’ancienne colonie britannique qui compte aujourd’hui 32 millions d’habitants. La campagne électorale s’était focalisée sur des scandales de corruption, le plus important touchant le fonds souverain 1MDB, fondé par Razak en 2009 et à travers lequel il se serait considérablement enrichi. 700 millions de dollars auraient atterri sur ses comptes personnels, tandis que les autorités américaines évaluent à 4,5 milliards de dollars les détournements réalisés au détriment de 1MDB par ses dirigeants. Mais la justice de son pays a blanchi Razak qui a attribué l’origine des fonds à un don de l’Arabie saoudite en faveur d’un dirigeant prônant un islam modéré. Après des perquisitions chez des proches jeudi dernier, la police malaisienne a perquisitionné jeudi le domicile de l’ex-Premier.
Le scandale 1MDB, aux ramifications protéiformes, passe par une dizaine de pays dont la Suisse, les États-Unis mais aussi le Luxembourg. En mars 2016, le parquet de Luxembourg requérait l’ouverture d’une information judiciaire pour «blanchiment de fonds susceptibles d’émaner du détournement de deniers publics». Et en juillet 2017, la Commission de surveillance du secteur financier infligeait une amende de 9 millions d’euros à la banque privée Edmond de Rotschild Europe, soupçonnée d’avoir accueilli des fonds suspects liés au scandale et dont la maison mère en Suisse est également mise en cause.
Allié à ses anciens opposants
La justice luxembourgeoise s’intéresse à cinq virements d’un montant de plusieurs centaines de millions de dollars, en 2012 et 2013, en faveur d’une société offshore dont le compte était domicilié dans la banque luxembourgeoise. Le destinataire final des fonds pourrait être Khadem Al Qubaisi, un ancien dirigeant d’Aabar Investments PJS, une société d’investissement détenue par le fonds souverain d’Abou Dhabi. Outre une amende d’un montant rare au Grand-Duché, l’affaire a entraîné le remplacement de la direction luxembourgeoise d’Edmond de Rotschild Europe.
Ce scandale, conjugué à de fortes hausses des prix et à l’adoption de lois sécuritaires controversées, a fini par coûter son poste à Najib Razak qui avait succédé en 2003 à son mentor Mahathir. Depuis une semaine, ce dernier est, à 92 ans, le dirigeant élu le plus âgé du monde. Pour chasser son ancien dauphin, il avait démissionné du Barisan et pris la tête d’une coalition d’opposition, l’Alliance de l’espoir, formée de nombreux responsables politiques qui s’étaient opposés à lui du temps où il était à la tête du gouvernement.
Parmi eux figure celui qui fut aussi son dauphin avant de devenir son adversaire, Anwar Ibrahim. Les deux hommes se sont réconciliés pendant la campagne électorale et Ibrahim a été libéré hier de prison après avoir été gracié. Âgé de 70 ans, il devrait être nommé Premier ministre dans deux ans, à la condition que Mahathir se retire du pouvoir comme il s’y est engagé la semaine dernière.
Père de la Malaisie moderne
Pour nombre de Malaisiens, Mahathir fait figure de père de la Malaisie moderne, qui est passée sous son règne du statut de pays en développement à celui de «tigre asiatique». Dotée de réserves de gaz et de pétrole, la Malaisie est aussi un champion des composants électroniques. En 2017, le PIB par habitant à parité du pouvoir d’achat (29 000 dollars) équivalait à peu près à celui de pays comme la Hongrie ou le Portugal.
Pendant 22 ans, bien que démocratiquement élu, Mahathir avait dirigé la Malaisie d’une main de fer, muselant opposition et médias, s’appuyant sur l’ethnie majoritaire des Malais musulmans, au détriment des Indiens et Chinois.
Sur la scène internationale, ce médecin de formation s’était opposé au FMI lors de la crise asiatique de 1997, prenant le contrepied des recommandations de l’organisation internationale pour redresser avec succès son pays. Souvent paradoxal, il fustigeait la mondialisation tout en faisant affaire avec les multinationales américaines ou dénonçait le «complot sioniste» avant de devenir un partisan exemplaire de la coalition antiterroriste de George Bush, après les attentats du 11 septembre 2001, poursuivant impitoyablement les affidés d’Al-Qaïda en Malaisie.
Le Luxembourg n’est pas terre inconnue pour Mahathir. En juin 2002, avant un départ du pouvoir qu’il pensait alors définitif, il avait choisi, en guise de tournée d’adieux, d’effectuer des visites officielles dans trois pays européens : la Suisse, le Grand-Duché et le Vatican !
Fabien Grasser