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L’UE, un colosse aux pieds d’argile [chronique]


L’Union européenne est malade, depuis longtemps, même si elle reste un partenariat (économique plus que politique) unique au monde. Elle est actuellement composée de 28 pays différents, trop différents peut-être, si l’on considère le dossier grec ou si l’on compare un pays comme la Hongrie –  avec son régime politique plus que douteux – avec un des six pays fondateurs.

Tout sauf un fleuve tranquille

Son histoire n’est pas seulement cette «success story» que nous vantent les brochures de l’Office des publications. C’est aussi le résultat de querelles intestines, de luttes de pouvoir, de combats de coqs, parfois fondés, souvent ridicules. C’est également une succession de fuites en avant, plus ou moins réussies si l’on pense aux derniers élargissements qui ont vu passer la taille du club de 15 à 28 membres, en flagrante contradiction avec le principe «approfondissement d’abord, élargissement ensuite» ou aux référendums ratés de 2005.

Bruce Ackerman, professeur de droit et de science politique américain, l’a encore confirmé hier dans une interview accordée au journal Le Monde  : «Le référendum français sur la Constitution européenne en 2005 marque un tournant. (…) Depuis, l’UE tente de contourner le peuple.»

La crise migratoire, un triste cas d’école

La politique migratoire européenne est un échec total. 19 avril 2015  : 800 réfugiés meurent comme des chiens à quelque 200 kilomètres de la côte européenne. Ils s’ajoutent à des centaines d’autres individus disparus dans des conditions similaires depuis le début de l’année. Tout de suite après, ce furent la consternation généralisée, les minutes de silence, les réunions de crise.

13 mai 2015  : annonce de l’agenda européen en matière de migration. Plus rien ne devra être comme avant  : renforcement des moyens déployés pour sauver les réfugiés en détresse, mécanisme temporaire de répartition des personnes ayant besoin d’une protection internationale, opérations navales dirigées contre les réseaux de passeurs.

Quelques heures plus tard seulement, une des mesures phares de l’agenda, à savoir le programme de réinstallation de quelque 40  000 réfugiés à l’échelle de l’UE, a fait pschitt.

Solidarité vous dites?

Un des principes fondateurs de l’UE, à savoir la solidarité entre les pays et les peuples, s’est volatilisé. Quel triste spectacle, quel marchandage. Pendant que les uns ont fêté les 30 ans de la signature de l’Accord de Schengen, d’autres (en partie les mêmes) ont fermé leurs frontières. En cause, l’égoïsme national rampant et des situations de politique intérieure compliquées, mais aussi le règlement Dublin-II, issu de la Convention de Dublin de 1990, prévue pour empêcher un demandeur d’asile de déposer des demandes un peu partout. Dublin a fixé les critères relatifs au pays compétent pour traiter une demande d’asile  : c’est en principe le premier État où l’intéressé met les pieds.

Quels sont aujourd’hui les pays européens qui souffrent le plus de l’afflux de réfugiés, qui sont malmenés par leurs partenaires et qui, de ce fait, envisagent un plan B, c’est-à-dire la délivrance de permis de séjour temporaires permettant aux titulaires de circuler librement au sein de l’espace Schengen? L’Italie et la Grèce.

Droits de l’homme vous avez dit?

L’art. 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme précise que «devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays». Déjà oublié?

L’UE affronte aujourd’hui la pire crise de réfugiés depuis plus de cinquante ans et elle perd son temps avec des querelles de clocher et des reproches réciproques. Les côtes méditerranéennes sont «nos» côtes. J’ai en tête cette image qui montre des migrants d’Érythrée et du Soudan peuplant la côte rocheuse près de Vintimille. Bloqués, interdits d’accès en France, enveloppés dans des couvertures de survie, ils font penser à des sculptures emballées dignes de Christo. Eh bien non, c’étaient des femmes, des hommes et même des enfants, en position accroupie au sol, souffrant du froid, du vent et de la pluie.

En pleine crise migratoire, (d’accord, il y a encore le conflit ukrainien, la guerre syrienne, l’État islamique, le Grexit et le Brexit, si ça se trouve) l’UE donne une piteuse image d’elle-même. Certains responsables (mais pas coupables) politiques en rajoutent  : Victor Orbán annonce la mise en place d’une cloison antiréfugiés longue de 150 kilomètres entre son pays et la Serbie. Nicolas Sarkozy passe son temps à faire des blagues douteuses sur la crise migratoire. Pendant ce temps, le ministre de l’Intérieur français ne se lasse pas de répéter qu’il ne fait que respecter les règles européennes, à Vintimille ou ailleurs.

Le désamour pour les demandeurs d’asile est omniprésent. Un élu local qui autorise aujourd’hui l’ouverture d’un centre d’accueil sur le territoire de sa commune se voit traité de tous les noms d’oiseaux, s’il ne reçoit pas des menaces de mort. O tempora, o mores.

Claude Gengler