Contrainte au silence par ses divisions, l’Union européenne voit sa politique étrangère réduite comme peau de chagrin et pour éviter de disparaitre de la scène internationale, ses États en sont réduits aux actions de groupe.
La journée du 4 février a été désastreuse pour son image. Coup sur coup, l’Italie a bloqué une tentative de muscler la position commune sur le Venezuela; Chypre a empêché l’adoption d’une réaction européenne à la fin programmée du traité russo-américain de 1987 sur les armes nucléaires de portée intermédiaire (INF), à quelques jours d’une réunion de l’OTAN, et la Hongrie a fait annuler un projet de communiqué commun avec la Ligue arabe, trois semaines avant un sommet en Égypte.
«Auparavant, les Européens cherchaient le compromis»
« L’Union n’a plus de politique étrangère », a déploré un influent ministre des Affaires étrangères dans un entretien à l’AFP. « Tout cela donne une image assez mauvaise de l’UE », reconnaît l’ambassadeur Pierre Vimont, ancien numéro 2 du service d’action extérieure de l’UE, aujourd’hui chercheur associé au centre de réflexion Carnegie Europe. « Auparavant, les Européens cherchaient le compromis », rappelle le diplomate français, aux première loges lors des deux grandes fractures européennes provoquées par le conflit dans l’ex-Yousgolavie et la guerre en Irak. « Le fait nouveau est qu’aujourd’hui les gouvernements acceptent les désaccords et ceux qui veulent aller de l’avant le font », souligne-t-il.
Contourner le droit de veto
L’Union européenne a toujours souffert d’être un géant économique, mais un nain politique. « Tant que l’UE prendra ses décisions selon le principe que même le plus petit membre dispose d’un droit de veto dans ce jardin d’enfants, on n’arrivera à rien », a déploré l’année dernière le président de la conférence de Munich sur la sécurité, le diplomate allemand Wolfgang Ischinger.
« La politique étrangère est par essence un sujet de souveraineté », soutient un diplomate européen pour défendre ce droit de veto. La Commission européenne a proposé de le supprimer pour les actions en défense des droits humains ou les missions civiles pour la protection des frontières. Le texte est sur la table des ministres, mais il a peu de chances d’être approuvé. « Le seul moyen de surmonter les blocages, ce sont les décisions prises de facto », soutient Pierre Vimont. L’Union ne peut pas se permettre d’être paralysée face à la Russie, la Chine et les États-Unis, trois puissances qui cherchent à la diviser pour l’affaiblir.
«Se montrer capable d’exister»
« L’Europe doit se montrer capable d’exister par elle-même face à une Amérique qui se montre de moins en moins amicale, afin de défendre ses intérêts », affirme l’ambassadeur, plusieurs années en poste à Washington. L’Initiative Européenne d’Intervention lancée par la France procède de cette volonté d’émancipation, a expliqué la ministre française de la Défense, Florence Parly. Dix État membres se sont engagés pour cette force dont la mission sera un appui à une intervention militaire ou à une opération d’évacuation de ressortissants européens.
Dans le même esprit, vingt des 28 membres de l’UE ont accepté dans une déclaration commune de reconnaître la légitimité du président de l’Assemblée nationale du Venezuela, Juan Guaido, pour organiser une nouvelle élection présidentielle. Moscou a dénoncé une ingérence, mais n’a pas réussi à la bloquer
La multiplication des blocages au sein de l’UE pourrait accélérer les initiatives prises par des groupes de pays. Le traité européen prévoit la possibilité de « coopérations renforcées », soit la constitution de groupes de pays désireux d’aller de l’avant, à condition d’en informer les autres. « Pudiquement ont dit que les autres pourront rejoindre et lorsque le train part, alors ils ont peur de rester sur le quai », ironise l’ancien ambassadeur. « Si on veut continuer d’exister dans ce monde de brutes, il va falloir aller vite », conclut-il.
AFP