L’Union européenne va faire pression lundi à Bruxelles sur la Turquie pour qu’elle l’aide à maîtriser la crise migratoire qui met en péril son unité, en expulsant les «migrants économiques» dont elle ne veut pas.
Parallèlement, l’Union est prête à assister la Grèce, où débarquent les migrants venus de Turquie et qui en attend encore 100 000 d’ici la fin mars.
Les 28 se retrouvent lundi midi à Bruxelles avec le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu au moment où l’arrivée de 1,25 million de demandeurs d’asile divise comme jamais l’UE. Ce sommet extraordinaire, le deuxième en moins de quatre mois, survient dans un climat de frictions récurrentes entre l’UE et la Turquie, candidate de longue date à l’adhésion, les Européens s’inquiétant de la répression contre les médias hostiles au président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan.
Fin novembre, l’UE avait déjà signé un «plan d’action» avec Ankara pour stopper les migrants quittant par milliers les côtes turques à destination des îles grecques. Après une récente tournée dans les Balkans, en Grèce et en Turquie, le président du Conseil européen, Donald Tusk, a cru déceler «un consensus européen (…) autour d’une stratégie globale, qui, si elle est mise en oeuvre de façon loyale, peut aider à endiguer les flux» migratoires.
Convaincre Ankara
Sa solution: appliquer à la lettre les accords de libre circulation de Schengen, en ne laissant entrer en Grèce que les personnes qui déposent une demande d’asile. Ce qui doit permettre de lever d’ici fin 2016 les contrôles frontaliers décidés unilatéralement à l’intérieur de l’UE, puis d’expulser tous les «migrants économiques» vers la Turquie qui les renverra vers leur pays d’origine. Reste à convaincre Ankara de tenir ses promesses, en mettant en oeuvre dès le 1er juin un accord de «réadmission» en Turquie des migrants irréguliers. «On peut réduire le flux par des retours à grande échelle et rapides de tous les migrants» déboutés de leur demande d’asile, plaide M. Tusk.
En signe de bonne volonté, Ankara vient d’accepter de reprendre plus de 800 migrants originaires du Maghreb depuis la Grèce. La situation reste néanmoins dramatique. Plus de 30 000 migrants demeurent bloqués en Grèce dans des conditions misérables en raison des restrictions imposées par plusieurs pays des Balkans. Au seul poste-frontière gréco-macédonien d’Idoméni, «il y a 13 000 personnes et nous ne pouvons plus supporter ce poids seuls», témoigne le gouverneur local, Apostolos Tzitzikostas. Au cours des dernières 24 heures, la Macédoine n’a laissé entrer que 240 personnes, selon les chiffres communiqués dimanche matin par la police grecque.
Aider Athènes
L’UE devrait rapidement débloquer une aide inédite (700 millions d’euros sur trois ans) pour aider Athènes, plongée dans une terrible crise économique. «La Grèce devait avoir créé 50 000 places d’hébergement pour les réfugiés avant la fin 2015. Le retard doit être comblé au plus vite», a réclamé dimanche la chancelière allemande Angela Merkel, jugeant que «l’Union européenne doit et va soutenir la Grèce de façon solidaire».
Environ 2 000 migrants continuent d’arriver chaque jour de Turquie sur les côtes grecques – trois fois moins qu’en octobre, mais «encore beaucoup trop», s’alarment les dirigeants européens, qui craignent de nouvelles vagues lorsque le printemps rendra la traversée en mer Egée moins dangereuse. «L’ironie de cette histoire, c’est que c’est à nous d’arrêter le flux, à nous de sauver l’UE», commente l’ambassadeur de Turquie auprès de l’UE, Selim Yenel. «Après avoir été ignorés ces 10 dernières années, on s’est soudainement souvenus de nous!».
En échange de sa coopération, Ankara a néanmoins obtenu des contreparties substantielles: la suppression, peut-être dès l’automne, des visas imposés aux ressortissants turcs et surtout une relance de son processus d’adhésion à l’UE, sans oublier les trois milliards d’euros d’aide pour les 2,7 millions de Syriens réfugiés dans le pays. «On a demandé leur aide, ils nous le font payer très cher», observe un haut responsable, selon lequel les Européens devront aussi donner lundi des gages à Ankara sur un vaste programme onusien d’immigration légale de réfugiés syriens vers l’UE depuis la Turquie.
Mais hormis à Berlin, très peu de dirigeants sont jusqu’ici enclins à participer à un tel projet. Les 28 profiteront également de leurs retrouvailles lundi pour tenter de remettre un peu de discipline collective au sein du bloc. Plusieurs Etats membres refusent de mettre en oeuvre la répartition de 160 000 réfugiés au sein de l’UE, agréée en septembre pour soulager la Grèce et l’Italie. «C’est évidemment une situation difficile. C’est pourquoi nous devons mettre en place une répartition en Europe. L’Autriche a déjà supporté sa part depuis longtemps. Beaucoup de bénéficiaires nets (de l’UE, ndlr) sont de mauvais payeurs. Nous devons augmenter la pression sur eux», a estimé dimanche le ministre autrichien de la Défense Hans-Peter Doskozil.
Le Quotidien/AFP