Dans une salle de jeux vidéo ultramoderne près de Tripoli, les commentaires enjoués se mêlent au bruit des manettes et des écrans. Isolés par la dictature de Kadhafi puis par une décennie de chaos, des Libyens passionnés commencent à s’organiser en communauté.
En pleine nuit de ramadan, dans un immeuble de Tajoura, banlieue de la capitale, des adolescents, écouteurs vissés sur les oreilles, ont le regard rivé sur leurs écrans incurvés dernier cri.
Un jeune, assis derrière un volant, fait rouler en trombe une voiture de course. Certains sont immergés dans des parcours en réalité virtuelle, d’énormes lunettes 3D sur le visage.
Ce type d’espaces n’a rien d’ordinaire en Libye. Contrairement à d’autres pays arabes, « le monde du jeu vidéo était complètement mort ici » jusqu’à récemment, dit à l’AFP Sofiane Mattouss, qui supervise cette salle de jeu privée inaugurée en 2022.
Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord sont considérés comme une région à forte croissance par les experts de cette industrie, avec pour marchés les plus importants l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et l’Egypte.
Une forte demande pour jouer ensemble
Mais l’investissement dans les technologies et les divertissements a été fortement ralenti en Libye par plus de 40 ans de dictature de Mouammar Kadhafi puis par les affrontements entre camps rivaux qui ont suivi sa mort pendant la révolution de 2011.
Le long isolement des joueurs dans un pays pourtant riche et regorgeant de pétrole explique la « forte demande » actuelle de lieux leur permettant enfin de « jouer ensemble et de participer à des tournois », estime Sofiane Mattouss.
Après avoir longtemps été frustré de jouer dans les salles d’ordinateurs rudimentaires et vieillissantes de son université, cet étudiant en informatique de 18 ans vient de rejoindre le personnel de ce centre créé par un autre passionné.
Une fédération d’esport lancée en 2018
Honnis sous Kadhafi, l’appétit pour les technologies, la pratique de différents sports et les investissements du secteur privé commencent à se répandre en Libye. Une fédération d’esport a même été lancée en 2018. Une demi-douzaine de salles modernes ont vu le jour à Tripoli, sans compter d’autres grandes villes comme Benghazi (est).
Dans celle de Tajoura, confortablement installés sur des poufs ou juchés sur des tabourets, des joueurs bruyants s’affrontent par manettes interposées dans des matches de football ou des combats épiques.
En jeans ajusté et veste blanche, Youssef Younssi se démarque par sa gouaille, entre des passes d’un match joué sur un écran géant. Cet étudiant de 20 ans avait l’habitude des « petites salles » de Tripoli mais il n’avait « jamais vu » en Libye des espaces aussi modernes. Installé en Turquie pour ses études, il fréquente régulièrement les salles d’Istanbul. « J’espérais en trouver aussi un jour en Libye », confie-t-il. « Dans les autres pays, quand je voyage, il y en a partout. Mais je ne m’attendais pas à voir autant de gens qui s’y intéressent ici », se réjouit le jeune homme.
« Motiver les joueurs »
Les salles et les tournois qu’elles organisent ont contribué à bâtir très rapidement un nouveau monde du jeu vidéo en Libye, assure Sofiane Mattouss, le superviseur de la salle. « On s’est développés en deux ans », se félicite-t-il.
Cette communauté de plus en plus organisée « motive les joueurs et pousse d’autres jeunes sans expérience à s’entraîner, à choisir cette vocation », fait-il valoir, prédisant « un développement important dans un avenir proche ».
Face à certaines voix critiques, il répond que les jeux vidéos, contrairement à la dictature et au chaos, n’ont pas détruit la jeunesse libyenne, et que l’esport leur permet de se retrouver plutôt que de « traîner dehors à ne rien faire ».
Cette dynamique autour de la jeunesse et des industries modernes est donc « une bonne chose, même pour le développement du pays », observe Karim Ziani, après avoir abandonné son clavier et ses écouteurs. Cet étudiant de 20 ans espère voir le secteur des jeux vidéo grandir encore « pour le bien de la jeunesse et de la société ».